Marc Cholodenko, Je te fais un dessin

Présences

Cholo­denko pour­suit ce qu’il a entamé avec Il est mort ? : un tra­vail d’effacement et sa célé­bra­tion. Dans cette sai­sie de l’existence, le des­sein a besoin d’un des­sin et le des­sin d’un des­sein afin de créer de la pen­sée digne de ce nom là où bien des pen­sums l’étouffent. Le réel comme le moi devient un ailleurs dans sa repré­sen­ta­tion. Mais pour l’atteindre, Cho­lo­denko — de plus en plus pointu et per­ti­nent à mesure que se textes rac­cour­cissent — choi­sit une double ins­tance.
Dans la pre­mière par­tie de l’évocation, de l’indicible est pig­menté en carac­tère gras de quelques piquets signa­lé­tiques afin de ne pas rater le pas­sage obligé. Dans la seconde, par frag­ments le tableau peut deve­nir sinon abs­trait du moins men­ta­li­sa­tion de ce qui en l’être non se dilue et s’évapore mais ce qui serait encore pré­sent, entre autres, les 21 grammes si l’on en croit une cer­taine tra­di­tion apo­cryphe. Elle trouve son apo­gée dans la troi­sième par­tie du texte : une clé ferme plus qu’elle n’ouvre l’énigme de l’être en bou­clant la boucle par un retour aux sources d’avant même le lan­gage: l’enfant des­sine et gri­bouille avant d’écrire.

Mais à mesure que l’égo dis­pa­rait, l’imaginaire évo­ca­toire ouvre l’espace tex­tuel à des pos­sibles. L’auteur exclut ce que Der­rida dans La dis­sé­mi­na­tion nomme un “hymen” sus­cep­tible de lais­ser poindre un monde nou­veau mais, à l’inverse, il fait émer­ger un impen­sable que l’auteur finit par sai­sir, atteindre ou reve­nir. D’où l’état de limbes pré­cieuses du livre. L’auteur contraint à scru­ter la voie à tra­vers un non-lieu, per­çoit ce qui demeure sans être ou si peu.
L’image n’est plus un tissu, le lan­gage n’est plus une trame. A perte de vue, Cho­lo­denko convoque le silence de l’être qui n’a qu’à peine vu le jour ou qui le voit de plus en plus mal. En consé­quence, cet être ne peut ni ima­gi­ner — même s’il en garde la ten­ta­tion — un monde, ni faire sur­gir une pré­sence, si ce n’est celle d’états par­ti­cu­liers. Ils per­mettent néan­moins de revi­si­ter l’existence selon une pers­pec­tive « neuve ». Il n’est pas jusqu’à l’ennui « dans ses inutiles va et vient » à ne per­cer aucune durée mais à révé­ler à l’homme que celui-là est « un état plus qu’une qualité ».

Tout s’écrit ici sous la puis­sance de la finesse et d’une para­doxale légè­reté. Le « des­sin » tel qu’il se dit devient l’icône mys­té­rieuse qui pro­tège la pen­sée de la ten­ta­tion du néant. Cho­lo­denko “montre” de la sorte des images qui n’en sont pas sans se réduire tou­te­fois à des ersatz, à des fausses barbes. Elles sont plus que des ombres pas­sa­gères car elles gardent une sorte sinon d’inaltérabilité du moins de fidé­lité à de « minimes tur­bu­lences » que le texte ras­semble en ces trois moments.
Dès lors et à l’inverse d’un des textes ter­mi­naux de Beckett (Le Trio du Fan­tôme) où « le miroir ne reflète rien », ici l’image per­dure : la voix la décrit, didas­ca­li­que­ment : non pour des­si­ner le réel mais ses états de conscience. Les contem­pler ne revient pas à recu­ler dans un des­tin vide mais ren­voie à une pos­si­bi­lité sub­tile d’existence au moment où un affais­se­ment demeure contrarié.

Preuve que quelque chose bouge encore un peu. Cho­lo­denko l’explore jusqu’à la limite du visible et du res­senti. Si, comme Beckett, il touche une sorte de fron­tière, à l’inverse de ce celui-là il ne s’agit pas d’un point de non-retour. L’auteur s’élève contre l’absence de l’être, du monde et de l’image elle-même afin que le souffle ne pos­sède pas l’odeur des cendres. Le tout au moment où la prose prend la force d’une poé­tique de la pré­sence là où la soli­tude phy­sique per­met de par­ler « à dessin ».

jean-paul gavard-perret

Marc Cho­lo­denko,  Je te fais un des­sin, P.O.L édi­teur, Paris, 2017, 120 p. –13, 00 €.

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Filed under Chapeau bas, Poésie

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