Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus

Les ultimes phalènes

Les édi­tions Unes pour­suivent la publi­ca­tion des œuvres d’Emily Dickin­son. Ses oiseaux per­dus réunissent des textes des der­nières années (1882–1886). L’œuvre s’y fait dou­lou­reuse suite à la dis­pa­ri­tion de la mère, du neveu pré­féré et de l’ami intime et cor­res­pon­dant de la poé­tesse. De plus, l’âge venant et la mala­die rendent les obli­ga­tions jour­na­lières plus lourdes. La créa­trice se sent seule et oubliée. Ses textes deviennent plus courts et par­ci­mo­nieux.
S’y dis­tingue une oppo­si­tion entre la foi en la force de l’amour humain et sa dés­illu­sion. La poé­tesse s’accroche déses­pé­ré­ment à l’existence tout en n’y croyant plus vrai­ment. Les poèmes deviennent des appels dans le doute et le vide : « Pré­sents faits main et mots embar­ras­sés /Au cœur humain ne racontent / Rien –/ « Rien » est la force / Qui rénove le Monde ».

Une telle poé­sie devient sublime par une vision en néga­tif à mesure que l’heure du tom­beau se rap­proche. Elle devient aussi lisse que sinueu­se­ment libre en ses sur­faces creuses sous les­quelles l’auteure dis­pa­raît pro­gres­si­ve­ment. Elle tente néan­moins de tenir encore. Mais tels les pha­lènes brû­lés les textes marquent le non vivre. Fin de l’histoire ? His­toire sans fin ? Là est tout le pro­blème qu’Emily Dickin­son reprend à sa main.
La pen­sée s’envole, ne fait plus corps ou esprit. Elle devient bien plus « fan­tô­male » (Beckett). La poé­sie se place désor­mais dans un pré­sent mytho­lo­gique, marelle sans craie, pré­sence abso­lue de la soli­tude. Elle pousse comme une plante grim­pante ou du chien­dent. Il y a pour­tant encore beau­coup l’émotion : avant de s’envoler, ces pha­lènes se jettent vers un lumi­neux fir­ma­ment, sa dimen­sion peut-être sublime, ou plus cer­tai­ne­ment son risque absolu et sa nuit à foison.

jean-paul gavard-perret

Emily Dickin­son, Ses oiseaux per­dus, Edi­tions Unes, tra­duit de l’anglais (Etats-Unis) par Fran­çois Heus­bourg, post­face de Maxime Hor­tense Pas­cal, 2017, 112 p. — 19,00 €.

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