Jean-Louis Bentajou, Le Bleu des lointains

« Peindre sans images »

Faire croire à la réa­lité de la pein­ture afin d’en dévoi­ler l’illusion, telle est l’ambition de Ben­ta­jou. Mais elle se double d’une seconde : res­ti­tuer le jeu des forces élé­men­taires de la pein­ture au-delà des images. Le créa­teur tente par son « abs­trac­tion » — qui n’en est pas une car elle échappe au règne du pur men­tal — de créer un hori­zon. Il déplace non les lignes mais les cou­leurs.
L’objectif n’est  pas de créer une irréa­lité monu­men­tale mais d’inventer un étrange espace cos­mique ici même, ici-bas en « éli­mi­nant le révolu qui encombre le pré­sent ». Pour ne pas figer l’être comme la pein­ture, Ben­ta­jou est un des rares à déployer la sub­stance de la cou­leur. Ses textes prouvent que ce pro­ces­sus ne passe pas par un simple éta­le­ment. Ber­na­dette Engel-Roux en pré­cise les contours et le peintre le sens.

L’artiste explique com­ment la cou­leur vit en se mul­ti­pliant, enflée d’un souffle de recom­po­si­tion là où la décom­po­si­tion de la repré­sen­ta­tion nour­rit l’essence de la cou­leur. Celle-ci pose en prin­cipe la lumière comme vocable en lui-même de trans­gres­sion. À ce titre, l’œuvre de Ben­ta­jou devient un seul immense poème optique. Il se découpe dans le temps au sein d’une recherche aussi esthé­tique qu’existentielle. Renon­çant à scru­ter la nuit et ce qu’on appel­lera le pay­sage, pour Ben­ta­jou la cou­leur devient un prin­cipe plus phy­sique que méta­phy­sique. C’est un moyen de regar­der au-delà des monts en un mou­ve­ment d’exaltation et de des­truc­tion de l’image. L’artiste lutte entre le fini et l’infini, la pré­sence et l’absence.
Il s’agit de fran­chir la fron­tière entre abs­trac­tion et figu­ra­tion, d’accomplir cette trans­gres­sion par le lan­gage plas­tique et son chant à tra­vers un inces­sant tra­vail de reprises qui s’impose sous le joug de deux néces­si­tés. D’une part détailler la richesse des cou­leurs et s’y fondre, et d’autre part faire que l’épreuve de pein­ture confronte créa­teur à l’épreuve de varia­tions folles.

C’est en poète que le plas­ti­cien pénètre le mys­tère de la vision et de l’univers. Ne cher­chant jamais à redou­bler le réel, il en sou­ligne l’inconsistance ver­ti­gi­neuse mais aussi en fait sur­gir une forme de pan­théisme. Sai­sie d’une fré­né­sie expo­nen­tielle, la fonc­tion de la pein­ture est de créer une déli­vrance afin que l’espace s’irradie d’improbables pos­tu­la­tions.
Dans sa fron­ta­lité, l’épaisseur imma­té­rielle de la pein­ture n’est là que pour ten­ter d’échapper à la confron­ta­tion étouf­fante avec la nuit à la recherche de l’extase « cos­mique » à par­tir des limites du tableau pour « cher­cher les cou­leurs ». Et l’artiste de pré­ci­ser ce terme : « les cou­leurs ne sont pas don­nées mais à faire ». Il convient de « pro­duire cet évè­ne­ment où elles vont ensemble vers leur utopie ».

L’artiste a donc appris à « peser leurs inten­si­tés, ana­ly­ser les com­po­santes et défaire leurs traînes d’habitude » pour les méta­mor­pho­ser en des sortes d’êtres vivants qui ne sont plus empri­son­nés dans leurs cou­tures et leurs déam­bu­la­tions. Se touche une céré­mo­nie secrète qui n’est plus pure contem­pla­tion. Ben­ta­jou regarde l’abîme qui englou­tit les cou­leurs mais que leurs vagues déchi­quettent.
L’hiver d’une pein­ture déco­ra­tive ou nar­ra­tive touche à sa fin. Il est rem­placé par l’espérance du prin­temps que l’artiste conçoit.

jean-paul gavard-perret

Jean-Louis Ben­ta­jou,  Le Bleu des loin­tains  pré­cédé de  Loin­tains de la cou­leur  par Ber­na­dette Engel-Roux, L’Atelier Contem­po­rain, Stras­bourg, 2017, 168 p. — 25,00 €.

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