Une source presque inépuisable de fiction
Jérôme Bosch, avec son œuvre insolite, est l’un des artistes les plus énigmatiques de l’art pictural. Dans ses tableaux, les personnages, les créatures mêlées, les constructions humaines, la nature même, sont liés à une forte symbolique qui emprunte à l’alchimie, à la mythologie, à la religion… Il associe références culturelles et “délire” imaginatif. La vie du peintre est peu connue. Cette méconnaissance, alliée à une œuvre métaphorique dont on n’a plus toutes les clés, titille l’imagination de romanciers (notamment Frédéric Grolleau et son Hieronymus — Moi Jérôme Bosch ou le peintre des enfers en 2016) qui peuvent concevoir des intrigues, bâtir des hypothèses et combler de belle manière les zones d’ombre de la vie de l’artiste. Et Peter Dempf ne s’en prive pas !
Tout commence à Madrid, au musée du Prado, quand le père Baerle, un prêtre, jette de l’acide sur Le Jardin des délices. Pour réparer les dégâts, le musée fait appel à Michael Keie de Berlin, un restaurateur réputé. Il travaille avec Antonio de Nebrija, un vieil historien de l’art qui découvre, à partir des agrandissements fait par Michael, une inscription curieuse sur la partie découverte par l’acide. Grit Vandeswerf, psychologue et psychothérapeute, les rencontre. Elle assure le suivi médical de l’auteur de l’attentat, un récidiviste, et elle a besoin d’eux car il ne veut parler qu’à un homme. Dans la conversation, Michael commence à faire état de leur découverte, mais Antonio lui fait signe de se taire.
Keie rencontre alors le prêtre qui lui fait part de ses recherches relatives au tableau. Il fait état d’un manuscrit, rédigé en 1511, dans les cachots de la Sainte-Inquisition par Petronius Oris. Celui-ci avait reçu l’ordre du Grand Inquisiteur d’écrire son histoire, les événements qu’il avait partagés avec Jérôme Bosch. Oris a été confronté à des meurtres, des menaces, à de sombres mystères…
De nos jours, Antonio et Michael se demandent qui est réellement Grit qui semble en savoir beaucoup plus qu’elle ne le dit sur Bosch et sur Le Jardin des délices. Que peut-elle chercher ?
Le romancier développe deux intrigues, la première nourrissant la seconde. Avec le manuscrit de 1511, il présente, à travers le regard d’un témoin actif, ce que fut Jérôme Bosch, sa vie à Bois-le-Duc et les événements qui s’y sont déroulés à cette époque. Il propose une vision étayée sur les quelques faits avérés dont disposent les historiens. Il fait état de son appartenance à une Confrérie de Notre-Dame qui joue un rôle important dans la cité, tant social que culturel. Il associe le peintre à un mouvement qui se développait dans le duché de Brabant, celui des Frères et Sœurs du Libre Esprit dénommée aussi adamite. Rien ne prouve que Jérôme Bosch en ait fait partie mais nombre de leurs positions exprimées se retrouvent dans le triptyque.
Il dépeint avec réalisme le contexte social et religieux, la mainmise de l’inquisition sur la région, faisant régner une terreur sans pareil avec Jean de Baerle, l’authentique inquisiteur qui sévissait à cette époque et en ces lieux. Mais l’auteur offre surtout un décryptage de ce triptyque à la lecture pour le moins hermétique. Il met en scène un autre individu authentique en la personne de Jacob Van Almaengien, un érudit, qui a fini sans doute sur un bûcher. Il ajoute, bien sûr, nombre d’éléments de fiction pour attiser la curiosité, éveiller l’intérêt. Ainsi, il fait découvrir par son héros du XVIe siècle que Jacob a été brûlé avec ses vêtements, fait rarissime en la matière. Il donne nombre de clés permettant de mieux saisir les motivations du peintre pendant la composition du tableau. Parallèlement il met en scène des éléments de tension avec des meurtres, une atmosphère pesante, menaçante, avec des personnages aux multiples facettes dont on ne sait à quel bord ils appartiennent. Il apporte à son récit une tonalité intéressante avec une vision plus égalitaire des sexes et une autre lecture des Livres Saints. Il livre également, des informations précieuses sur le parcours et les différents propriétaires de l’œuvre à travers les siècles jusqu’à son arrivée au Prado.
Après la lecture de ce roman, on ne regarde plus Le Jardin des délices de la même façon tant le récit de Peter Dempf éclaire la figure de ce peintre énigmatique et son œuvre curieuse au possible.
serge perraud
Peter Dempf, Le Mystère Jérôme Bosch (Das Geheimnis des Hieronymus Bosch), traduit de l’allemand par Joël Falcoz, cherche midi, coll. “Thrillers”, septembre 2017, 448 p. — 22,00 €.
Je suis en train de lire le roman de Peter Dempf. Fabuleux voyage.
Chère Madame,
Merci de votre retour et enthousiasme pour ce livre : si l’univers de Bosch vous séduit, vous pourriez aussi avec grand intérêt lire le 1er roman français qui lui a été dédié et auquel les sources de Dempf renvoient : “Hieronymus — Moi Jérôme Bosch ou le peintre des enfers ” de F. Grolleau.
En vous souhaitant bonne lecture,
la rédaction du litteraire.com