Blaise Cendrars, Œuvres romanesques précédé de Poésies complètes

Blaise Cen­dras : génériques

A qui veut com­prendre d’où vient l’œuvre de Blaise Cen­drars, il est recom­mandé de lire les poèmes de l’auteur. Même s’il faut aller cher­cher dans la même col­lec­tion les Œuvres auto­bio­gra­phiques com­plètes publiées il y a deux ans pour savoir d’où vient sa poé­sie. Le Panama ou les aven­tures de mes sept oncles est dédi­cacé de la manière sui­vante : “A Ray­monde, ce poème que l’on croit être le der­nier en son genre et qui est le pre­mier d’un art nou­veau”. Cen­drars s’y fait quasi futu­riste. Tou­ché par la catas­trophe bour­sière liée au scan­dale du Panama, son livre devient un conte où le poète s’invente un lignage pres­ti­gieux. Mais — et sur­tout — le texte lie la nais­sance de la poé­sie à des impé­ra­tifs éco­no­miques. Les « infra­struc­tures » (pour par­ler mar­xiste) deviennent donc le ter­reau où l’écriture de Cen­dras casse les vieille­ries poé­tiques et leur vais­selles.
Il existe pour­tant une autre ver­sion de la légende poé­tique du Suisse. Une nuit d’avril 1912, il écrit  Les Pâques à New-York  et change son nom (Freddy Sau­ser) en Blaise Cen­drars. Il s’agit d’un long poème rédigé d’un seul trait où s’exprime la détresse morale de son auteur : “l’aube a glissé froide comme un suaire / Et a mis tout à nu les gratte-ciels dans les airs”. Apol­li­naire ne s’y trompe pas. Sur le point de publier Alcools, avec “Le pont Mira­beau” en ouver­ture, bou­le­versé par le poème de Cen­drars, il com­pose aus­si­tôt « Zone », pour le pla­cer en tête de son recueil.

Dès 1912, Cen­drars estime avoir pris la pre­mière place parmi les poètes fran­çais, même s’il se pré­sente comme « mau­vais poète ». Mais d’ajouter : « L’écriture est un incen­die qui embrase un grand remue-ménage d’idées et fait flam­boyer des asso­cia­tions d’images, avant de les réduire en braises cré­pi­tantes et en cendres retom­bantes ».  Le poète ren­contre Robert et Sonia Delau­nay, fré­quente Modi­gliani, Sou­tine, Cha­gall, Coc­teau et Max Jacob, publie un de ses chefs d’œuvre : La Prose du Trans­si­bé­rien. Sonia Delau­nay en réa­lise l’illustration, sur un dépliant de près de deux mètres, où texte en cou­leur et plans contras­tés se répondent admi­ra­ble­ment.
Cen­drars reste frère du futu­risme avec ses poèmes élas­tiques comme le prouve ce pas­sage : « La croûte terrestre/ Le liquide/ Le bru­meux / Tout ce qui se ter­nit / La géo­mé­trie nuageuse/ Le fil à plomb qui se résorbe / Ossi­fi­ca­tion. / Loco­mo­tion. » Tou­te­fois, quoique adepte de la vitesse, de l’énergie, le poète refu­sera le cadre des avant-gardes où il aurait pu trou­ver sa place. Il est vrai que, contrai­re­ment aux for­ma­listes trans­al­pins, il se méfie de tous les embri­ga­de­ments. Cen­drars reste un homme libre et sa poé­sie le prouve. Il s’adonne aussi à la pein­ture mais va aban­don­ner la poé­sie pour la fic­tion avant d’aller « tuer les morses ».

Douze ans plus tard il publie néan­moins deux recueils. En 1924, il publie Feuilles de route, son der­nier ouvrage ver­si­fié, jour­nal de bord de son voyage mari­time jusqu’au Bré­sil, fait « de petites his­toires sans pré­ten­tions ». La rup­ture for­gée par l’écrivain lui-même est donc à nuan­cer. Mais il semble bien désor­mais que l’envie d’écrire des poèmes le quitte, comme il le dit sans détour : “Il y a plein de bou­quins où l’on ne décrit que les cou­chers de soleil”.
D’autant que, quel que soit le genre abordé, l’auteur reste le poète de la moder­nité. Il le reven­dique haut et fort dans un texte de 1917 : La moder­nité a tout remis en ques­tion. Et d’ajouter — pour finir — son célèbre poème : “Pour­quoi j’écris ?” qui se résume à un vers : “Parce que”. Mais l’édition de la Pléiade per­met d’en savoir beau­coup plus.

jean-paul gavard-perret

Blaise Cen­drars, Œuvres roma­nesques pré­cédé de Poé­sies com­plètes, Édi­tion publiée sous la direc­tion de Claude Leroy,  Gal­li­mard, collec­tion Biblio­thèque de la Pléiade, Paris, 2017.

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