Pleins et vides, symboles et signes : entretien avec l’artiste Livia Gnos (Concentration)

Livia Gnos sait créer des bou­cliers vapo­reux, des cara­paces ver­nis­sées qui semblent se mou­voir selon un ciné­tisme fixe. Le sup­port devient l’écran sur lequel les courbes jouent flot­tantes comme des algues ten­dant leurs rayons doux, leur dos lui­sant dont la main de l’artiste invente la fuite cou­lis­sante. L’espace est bien pré­sent mais il nous échappe en des arceaux, des velours côte­lés dont l’écume devient celui de Genève assou­pie en automne mais réveillée par l’artiste.

Livia Gnos, Concen­tra­tion (expo­si­tion), Bains de Pâquis, Genève -  de sep­tembre 2017 à mai 2018.


Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je me lève tôt, au moins une demi-heure avant le reste de ma famille. J’aime ce pre­mier moment de la jour­née, avec un café et quelques pen­sées encore très lentes.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je crois que je les ai trans­for­més au fur et à mesure… J’ai tou­jours beau­coup de rêves. En même temps, je suis consciente que cer­tains de mes rêves se sont réa­li­sés, ou ose-je dire que je les ai réalisés ?

A quoi avez-vous renoncé ?
Je ne crois pas avoir eu à renon­cer à quoi que ce soit.

D’où venez-vous ?
De Uri, de Lucerne, de Zug. D’une famille où grands-parents, oncles et tantes, cou­sins et cou­sines avaient une grande valeur.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’art. Et une atti­tude optimiste.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Oh, beau­coup. La plu­part quo­ti­diens. J’ai déjà men­tionné le café du matin. J’aime les rituels.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Ce qui nous dis­tingue des uns nous rap­proche d’autres, donc dif­fi­cile à dire. Je ne sais pas. Je suis artiste, mais aurais pu faire d’autres choses également.

Com­ment définiriez-vous votre approche du tra­vail, du gra­phisme et du temps ?
Mon amour pour les pleins et les vides et ma fas­ci­na­tion pour les sym­boles et les signes se situent peut-être dans le royaume du gra­phisme. J’ai le pri­vi­lège de ne pas créer sur com­mande ou man­dat. C’est une dif­fé­rence fon­da­men­tale. Au Japon, j’ai cepen­dant trouvé très ins­pi­rant comme les domaines art, gra­phisme, arti­sa­nat s’enchevêtrent et se com­plètent.
Le temps est pré­sent dans mon tra­vail comme matière ou ingré­dient, je crois. (Dans ma manière de vivre il est omni­pré­sent : je consa­cré mon atten­tion à dif­fé­rentes choses qui me tiennent à cœur : je dois donc par­ta­ger mon temps constam­ment – j’ai men­tionné les rituels, ils m’aident).

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
L’image des visages que je voyais dans les vei­nures des boi­se­ries au-dessus de mon lit.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Je me sou­viens très bien de « Jim Knopf » de Michael Ende, un vrai voyage. Ma mère nous le lut le soir, je pense, vu l’épaisseur de ces livres, sur une longue durée. Plus tard, à mon ado­les­cence, « Dja­mi­lia » de Tchin­ghiz Aït­ma­tov était une révélation.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’aime bien les sons qui font office de tapis volant. Je suis mariée avec un musi­cien (Ste­phan Per­rin­ja­quet – Dol­lar Mambo), du coup peut-être gâtée… A l’atelier, j’écoute sou­vent des livres audio ou récem­ment les confé­rences de Michel Onfray.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Pays de neige » de Yasu­nari Kawa­bata et les « Méta­mor­phoses » d’Ovide.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Presque tous les films me font pleu­rer. Le der­nier, qui m’a vrai­ment plu en plus : « Pater­son » de Jim Jarmusch.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je me vois, simplement.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’aurais aimé écrire à John Ber­ger, mais il est mort  avant que je le fasse. J’ai trop attendu.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Genève est la ville que j’ai choi­sie pour com­men­cer ma vie d’adulte. J’y suis très attachée.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
J’ai grandi entou­rée d’artistes comme Josef Her­zog, Hans-Peter Kist­ler, Fran­ziska Zum­bach, Anna Annen, je sens donc une proxi­mité, presqu’une fami­lia­rité.
En lit­té­ra­ture, je me sens proche du regard de Chris­toph Rans­mayr. Ega­le­ment d’une cer­taine manière de celui de Yoko Ogawa et de Jón Kal­man Stefánsson.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une estampe de Uta­gawa Kuniyoshi.

Que défendez-vous ?
La bien­veillance et la dignité.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Et si on enle­vait sim­ple­ment la néga­tion : « L’Amour c’est don­ner ce qu’on a à quelqu’un qui en veut ? »

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Ça grince tel­le­ment son humour est noir…

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Vous en avez posé beaucoup !

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par  jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 24 octobre 2017

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