Une très belle biographie de l’empereur à la légende noire
La biographie de Napoléon III, écrite par Éric Anceau, se classe incontestablement parmi les meilleures publiées à l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’empereur des Français. Ce travail se caractérise par deux grandes qualités. La première vient de celle des sources : de nombreuses archives, parfois inédites, des témoignages, des journaux de l’époque, des correspondances. L’auteur rappelle ainsi que l’historien doit toujours, même à propos d’un sujet très souvent traité, retourner à sa matière première, les sources, les traces laissées par les contemporains et soumises à la critique scientifique. Deuxième qualité de l’étude, la rigoureuse objectivité de l’auteur. Éric Anceau ne tombe pas dans le travers moraliste de nombreux historiens, surtout dans la jeune génération. Jamais il ne juge ni n’encense. Ni avocat ni procureur. Napoléon III reste pour lui un objet d’étude scientifique. Cette rigueur aurait pu rendre le récit froid et impersonnel. Il n’en est rien. La lecture de la biographie reste très agréable, dans un style bien construit.
Le livre retrace la vie et le parcours exceptionnel du premier président et du dernier empereur français. Éric Anceau prévient dans son introduction qu’il n’utilise pas la biographie de Napoléon III comme prétexte pour étudier l’époque dans laquelle il a vécu, les grands courants politiques, les bouleversements internationaux. Seul le personnage l’intéresse. Il ne nous entraîne pas dans les tréfonds psychologiques de l’empereur mais nous aide à mieux comprendre cette personnalité extrêmement complexe, cet intellectuel qui fait des coups d’État et mène des guerres, cet homme d’ordre, porté par la paysannerie et animé de sincères préoccupations sociales. Napoléon III a très tôt conscience de son exceptionnel destin qui, il en est sûr, le portera au sommet. La mort du duc de Reichstadt (Napoléon II), puis celle de son frère aîné, le renoncement de ses oncles font du fils cadet de Louis Bonaparte et de Hortense de Beauharnais le successeur désigné de son oncle Napoléon Ier.
Il se voue dès lors tout entier à la conquête du pouvoir. “J’espère en Dieu et je crois en moi” aime-t-il à répéter. Ses deux tentatives avortées de coup d’État, son emprisonnement au fort de Ham, son exil en Angleterre n’entament en rien ses certitudes. En février 1848, à la chute de la monarchie de Juillet, il rentre en France. Le pouvoir est à prendre. Les pages consacrées aux années de conquête du pouvoir présidentiel et à celle précédant le coup d’État de 1851 nous permettent de percevoir l’extrême habileté politique de cet homme secret, qui sait utiliser les hommes et les circonstances. Avec prudence, il préfère s’éloigner dès le mois de mars pour ne pas être accusé de fomenter le désordre et laisse la IIe République s’enferrer dans les difficultés et réprimer le mouvement populaire du mois de juin. Profitant de la popularité de son nom, il sait se présenter comme un recours pour assurer l’ordre. Cela assure son succès lors de la présidentielle de décembre 1848. Une fois au pouvoir, il profite des erreurs de l’Assemblée (suppression du suffrage universel qu’il veille à défendre) et entreprend plusieurs voyages dans les départements pour asseoir sa popularité.
Comme son oncle, il fait un coup d’État, le 2 décembre 1851, mais après de longues hésitations et avec des scrupules qui, en fait, ne le quitteront jamais. Il institue alors un régime très autoritaire qui restreint drastiquement les libertés publiques. Éric Anceau insiste beaucoup sur la répulsion de l’empereur pour le régime parlementaire et nous entraîne ainsi dans l’analyse de ce courant politique typiquement français qu’est le bonapartisme. Dans des pages à la fois denses et claires, il en rappelle les caractéristiques majeures : le rôle de l’homme providentiel, la légitimité populaire, le lien avec le peuple à travers le suffrage universel et les plébiscites, l’ordre, l’unité de la nation par le rejet des partis, les préoccupations sociales, la réconciliation du travail et du capital, seule apte à assurer la paix sociale, le libéralisme économique atténué par l’interventionnisme étatique. Pour résumer, Napoléon III désire faire sortir la France de la spirale infernale des révolutions et des contre-révolutions.
On est là au cœur du drame de la France du XIXe siècle, qui a vu sa vie politique et sociale fracturée par la violence de la Révolution. L’empereur échoue comme ses prédécesseurs. Mais, avant cela, il a démontré ses capacités d’adaptation en amorçant un processus de libéralisation de l’Empire à partir de 1860, et véritablement après 1866. Ce processus, décrit dans ses détails, porte le régime vers un semi-parlementarisme qui maintient l’essentiel aux yeux de l’empereur : sa responsabilité devant le peuple qu’il consulte par plébiscite. À la fin du règne, l’empereur n’est plus le seul maître de la décision qu’il partage avec le gouvernement. Les élites orléanistes ne s’y trompent pas et amorcent leur ralliement. Plus que jamais, la guerre contre la Prusse apparaît comme une faute terrible.
Éric Anceau analyse également en profondeur la politique étrangère de Napoléon III qui cherche à remettre en cause l’Europe de 1815 mais avec prudence. Son soutien aux nationalités est indéniable et le porte à combattre, non pas pour l’unité italienne en soi car elle remet en cause le pouvoir temporel du pape, mais pour une confédération de l’Italie qui ne verra jamais le jour. Son règne place la France de nouveau au centre des affaires européennes. L’empereur, porté par une vision mondiale des relations internationales, perçoit la montée en puissance des États-Unis. Dans ce domaine aussi, une réelle modernité se dégage de son action. Comme le remarque très justement Éric Anceau, la véritable rupture est Sadowa, la défaite de l’Autriche contre la Prusse. Napoléon III saisit immédiatement le danger pour la France. Conscient des déficiences de l’armée, il tente une réforme militaire qui échoue, bloquée par l’hostilité de l’opinion publique et des députés qui comptent de plus en plus avec la libéralisation de l’empire. Et il ressort bien que cette opinion publique joue un rôle considérable dans la déclaration de guerre à la Prusse de juillet 1870 et qui conduit à la défaite de Sedan. L’empereur, torturé par la maladie, espère y mourir en héros romantique, sous les balles ennemies, mais sans y parvenir. Fait prisonnier par les Prussiens, qui le traitent avec tous les égards (on est loin des guerres du XXe siècle…), il finit sa vie en exil en Angleterre. La révolution parisienne a, une nouvelle fois, raison du régime en place qui ne peut compter sur ses deux soutiens principaux, la paysannerie et l’armée. On lira avec intérêt les dernières pages qui décrivent les espoirs de cet homme en exil, malade et affaibli, mais toujours prêt à tenter un nouveau coup d’État !
La lecture de cette biographie est véritablement passionnante parce qu’elle est bien écrite, bien documentée et qu’elle nous fait connaître un homme complexe comme son époque.
frederic le moal
Éric Anceau, Napoléon III, Tallandier, mars 2008, 750 p. — 32,00 €. |
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