Jacqueline Fischer aime à jouer avec les genres comme avec la géométrie du patchwork. Elle se les approprie tout en redoutant l’irrationnel des créations et des « choses puissantes qui nous dépassent ». Après avoir arrêté d’écrire sont venus les « merveilleux chiffons » puis l’écriture est réapparue sous forme de mythologies intérieures. Fischer, “le roi pêcheur” de la légende arthurienne est son nom marital. L’auteur se nomme Gouverneur de par sa naissance, ce qui fait dire à un de ses amis qu’elle veut toujours avoir trop de contrôle sur ce qui lui arrive… Mais dit la créatrice, « je me soigne ».
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La perspective du petit-déjeuner ! L’idée d’une journée qui commence, à vivre. J’ai une gourmandise du jour qui vient.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je suis toujours une enfant surtout quand je rêve ou que je crée. Donc je les vis, résolument, quand j’ai accompli mes devoirs d’adulte responsable, toutefois.
A quoi avez-vous renoncé ?
A ce qui relève, à mes yeux de la vanité, et de la superficialité, du bluff et de la frime (que j’exècre). Mais surtout pas à aimer, à admirer, à m’émerveiller, à me laisser surprendre. Si à une chose toutefois : j’aurais voulu être chanteuse d’opéra.
D’où venez-vous ?
Je ne veux surtout pas le savoir, mais si on me le dit, j’y croirai peut-être !.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Rien ; enfin si : moi telle que je suis et avec qui je dois composer – à tous les sens du terme.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Regarder les oiseaux en petit-déjeunant .Et les chats. Et un tas d’autres choses parce que des petits plaisirs de la vie , il en est tant.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes et écrivains ?
Le fait (peut-être) que je n’arriverai jamais à me penser artiste. Écrivain davantage. Le fait que j’ai une tendance à préférer l’ombre à la lumière. Mais je cherche moins ce qui me distingue que ce qui me rapproche des autres.
Comment définiriez-vous votre approche du travail textile ?
Je suis une assembleuse de tissus disparates, pas faits pour aller ensemble. Une harmonisation des hiatus et des discordances. Détachée de toutes les vogues, modes et tendances je choisis librement mes sources d’inspiration. Rattachée à mes autres arts (pour moi un textile c’est de la poésie et un poème se tisse).
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Celle de ma mère portant un corsage en jersey d’un rose mauve.
Et votre première lecture ?
Je ne me souviens pas de ma première lecture mais la toute première qui m’ait marquée c’est l’histoire de Barbe-Bleue, j’y entrevoyais des abîmes.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Ca dépend du moment, je suis d’un éclectisme total : de la chansonnette bluette comme du métal symphonique, du gospel , de la country, du rock des débuts, du jazz (des débuts aussi ). Du classique beaucoup avec une prédilection pour ce qui est chanté. J’ai une passion pour la musique baroque. Purcell en particulier et en ce moment-même. Cela peut changer, il y a trois ans c’était Schubert.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Tous ceux que j’ai vraiment aimé lire. Le livre qu’on aurait écrit rien que pour moi. Le plus souvent : Montaigne, Yourcenar et parfois tant que je comprends encore (en lorgnant sur la traduction !) les poètes latins , Ovide, Catulle et Virgile. Pour ne pas perdre tout le latin en question.
Quel film vous fait pleurer ?
« Jeux interdits » parce que ma mère a vécu cette situation avec mon frère aîné et parce tout ce qui touche au malheur des enfants pris dans les folies des adultes me serre le coeur.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme vieillissante qui essaie d’apprivoiser son visage sans y arriver tout à fait. Je ne regarde pas beaucoup mon miroir — une fois le matin pour me coiffer ! C’est suffisant.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Difficile à dire quand j’ai envie, j’ose même à ceux qu’on nomme grands. En revanche, il y a bien des choses que je n’ai pas osé écrire.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Pas très original : Paris ; qui a dans ma vie une importance particulière.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Tous ceux qui se sentent comme moi un peu paumés dans ce qu’ils font, ceux qui doutent, ceux qui n’arrivent jamais, ceux qui cherchent, ceux qui croient malgré tout et surtout ceux qui savent aussi regarder le travail des autres, ceux avec qui il y a partage… bref, ceux que j’aime et il y en a beaucoup des pas très connus pour la plupart.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Dix ans de plus en bonne santé pour tenter de finir ce que je mets en route. Enfin je dis dix ans, mais c’est pour en laisser aux autres : il me faudrait dix vies. Sinon plus réalistement : une rose rouge parce que je les aime.
Que défendez-vous ?
Je combats les préjugés, les a priori et pour commencer en moi-même. En vrac et comme beaucoup de choses : je défends le droit à n’être d’aucun camp, le droit à la nuance (je suis coloriste ! J’ai coutume de dire abruptement : « choisir son camp c’est choisir ses cons »). Cependant il y a des domaines où je déroge. Le combat des femmes pour l’égalité des droits et ce, au sein même de l’art textile et de l’art tout court il y a à faire et ce n’est pas fini ; la liberté de pensée et de conscience.….qui inclut celle de pouvoir vivre décemment, d’avoir de quoi, au moins. Penser le ventre creux, c’est difficile.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Que c’est une vision de l’amour très cérébrale. Pour moi, l’amour sous sa forme sublimée appelée tendresse c’est quelque chose de quasi palpable, que j’en donne ou que j’en reçoive . Et tant pis si ce n’est qu’une illusion !
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Que j’aime beaucoup l’humour de Woody Allen. Et que souvent j’oublie ce que je viens de dire alors que ça pourrait bien m’arriver de le dire sérieusement !
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Toutes celles qui n’ont pas été posées (rire !) Dans une autre version de ces interviews dont je suis lectrice attentive, j’aimais bien « Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ? » J’aurais répondu : « Mon métier et un certain nombre de relations délétères ».
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 23 octobre 2017.
Ah oui, je reconnais bien l’amie que j’aime et admire pour ses talents divers, dont le moindre n’est pas sa fidélité en amitié.
Une réflexion majeure tout au long de l’entrevue. Jacqueline raisonne pour de bon. Merci pour avoir pris ces genres de position.
Je partage tes opinions Jacque. Continue, longue vie à toi .
” Mots et tissus ” m’avait beaucoup intéressée .
Votre entretien confirme une personnalité toute en subtilité et mythologies intérieures comme le suggère JPGP ” Entre textile et poème ” .