Michel Feuillet, L’enfance de Jésus selon Fra Angelico

Un “maître de la dou­ceur, de la trans­pa­rence et de la tendresse”

L’Arma­dio degli Argenti (dite en fran­çais Armoire des vases sacrés ou Armoire des ex-voto d’argent) est une œuvre sur bois de Fra Ange­lico, exé­cu­tée entre 1451 et 1453 et conser­vée aujourd’hui au musée natio­nal San Marco de Flo­rence. L’ensemble des pan­neaux de cette sorte de coffre-fort était ini­tia­le­ment conçu pour être la déco­ra­tion des faces du cof­fret des ex-voto d’argent consa­crés à la Basi­lique della San­tis­sima Annun­ziata ; il était porté lors des pro­ces­sions. Sur les quarante-et-une pein­tures d’origine repré­sen­tant les étapes de la vie dans sa tota­lité du Christ, six ont été per­dues  et seules res­tent les trente-cinq du Museo di San Marco, dont neuf du groupe de « L’Enfance du Christ » attes­tées de la main de Fra Gio­vanni di Fie­sole (de son vrai nom Guido di Pie­tro — vers 1395 ) dit de manière post­hume Fra Ange­lico (« Frère Angé­lique »).
Spé­cia­liste de l’iconographie chré­tienne, Michel Feuillet pré­sente de manière didac­tique et claire le savoir-faire pic­tu­ral de Fra Ange­lico , frère domi­ni­cain  sur­nommé “Le Peintre des anges”, mon­trant com­ment il a su s’appuyer sur les apports de la pré­coce Renais­sance ita­lienne (la pers­pec­tive et la repré­sen­ta­tion désor­mais réa­liste de la figure humaine) tout en  com­po­sant avec cer­taines carac­té­ris­tiques (en par­ti­cu­lier le tra­vail sur la lumière, la cou­leur)  de la pein­ture de la fin de la période médiévale.

Le beau livre au for­mat carré (et à la fort pra­tique pagi­na­tion souple, insistons-y)  pro­pose une ana­lyse métho­dique, image par image, des neufs séquences du pan­neau de l’enfance du Christ, celle-ci allant ici de la “roue mys­tique” à la scène de Jésus au milieu des doc­teurs en pas­sant par la célèbre Annon­cia­tion. La lec­ture des huit pan­neaux four­nit à chaque fois aux ama­teurs ou aux néo­phytes les clés d’appréhension de cha­cune des images : les sources scrip­tu­raires, le sens de chaque détail (fai­sant l’objet de maints cadrages en des pages sup­plé­men­taires et étant grossi à la loupe pour que le lec­teur puisse accé­der avec le plus grand confort pos­sible à ce que la contem­pla­tion synop­tique du tableau eût pu lui faire man­quer).
L’excellente idée de M. Feuillet est de dou­bler chaque épi­sode de la pré­sen­ta­tion d’une des nom­breuses Vierges à l’Enfant peintes par Fra Ange­lico – qui en a exé­cuté une bonne soixan­taine et dont l’auteur retient ici celles du Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, du Muzeo Natio­nale di San Mat­teo de Pise, de la Bar­bara Pia­se­cka John­son Foun­da­tion de Prin­ce­ton, du Musée Natio­nal d’Art Cata­lan de Madrid, de la Gal­le­ria nazio­nale de Parme, de la Gal­le­ria nazio­nale  de Pérouse, de la Gal­le­ria Sau­bada de Turin et du Rijks­mu­seum d’Amsterdam. Chaque approche mul­ti­plie ainsi, afin de sai­sir la cohé­rence du geste et de la volonté esthé­tique du peintre, à la fois des infor­ma­tions his­to­riques et une her­mé­neu­tique des sym­boles récurrents.

La col­lu­sion entre toutes ces Vierges et les points com­muns entre ces images et les neufs séquences de L’Armadio degli Argenti com­men­tées per­mettent de fait de per­ce­voir autre­ment  ces chefs-d’œuvre que relient, par-delà leur diver­sité de taille, de lieu et de rendu, un même objec­tif :  car  « La pein­ture du domi­ni­cain, pour spi­ri­tuelle qu’elle soit, entend d’abord assu­mer toute l’épaisseur de la vie pour célé­brer l’Incarnation dans sa tota­lité. Si Fra Ange­lico dépeint la totale huma­nité de Jésus enfant, il veut dans le même temps célé­brer son intacte divi­nité » (page 141).
A cha­cun d’entendre donc, par le tru­che­ment de ce bien bel ouvrage,  qu’il convient de dépas­ser dia­lec­ti­que­ment l’apparence du réel figuré, soit  la dou­ceur et la trans­pa­rence obvies des œuvres, pour intui­tion­ner le Mys­tère divin qui excède par prin­cipe les codes gra­phiques et pic­tu­raux de toute représentation.

fre­de­ric grolleau

Michel Feuillet, L’enfance de Jésus selon Fra Ange­lico, Des­clée de Brou­wer, 2017, 148 p. – 24,90 €.

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