Depuis son premier livre Archées (coll. Tel Quel, 1969), comme à travers ses dessins, photographies et chroniques (in Art Press entre autres), Jacques Henric dessine une « Politique » particulière. Guillaume Basquin en fait le tour et rappelle comme l’auteur dessine l’histoire des êtres et du monde en mettant à mal au besoin les doctrines, théories, systèmes même s’il commit lui-même des « erreurs » qu’il assume — jadis membre du P.C. et — à un degré moindre — de Tel Quel jusqu’à sa « plaisante » dérive maoïste.
Basquin souligne le charme discret (ou non) de la pensée de Henric. Il a toujours assumé ses propres manques et erreurs de jeunesse — et parfois de vieillesse — afin de pouvoir afficher ses propres libertés et ses partis pris sur tous les plans y compris sexuel, artistique, littéraire. Chacun sait son admiration constante pour Sollers qui le fit rompre avec Pierre Rottenberg. Mais Henric est toujours resté sur une ligne de crête étroite entre le in et l’off de l’intelligentsia.
Ce premier essai écrit sur l’auteur met en exergue un de ses sujets majeurs : il n’a cessé de s’interroger sur la force des images, ce qu’elles voilent et/ou dévoilent. Et ce, par une remontée aux sources bibliques comme à travers l’histoire de l’art jusqu’à ces vitrages les plus contemporains. L’auteur a montré combien l’iconoclastie réserve de tours et détours. Il les a toujours mis en rapport avec la littérature et la philosophie car toutes les constructions artistiques, intellectuelles, idéologiques et médiatiques marchent de concert.
Mais Henric montre comment les catégories dans un monde plus ouvert se disséminent. Il montre néanmoins ce qui dans l’image dégrade et humilie, sous la pression de l’idéologie toujours avide de bienséance et de morale approximative. D’où l’intérêt pour Henric d’œuvres de plus en plus marginales. Côté littérature il y eut – par exemple — Rottenberg, il y aura Guyotat mais cela n’empêche pas, et Basquin le rappelle, de ramener Henric à des fondamentaux bourgeois mâtinés entre autres et pendant tout un temps d’un marxisme qui put le pousser à des fantasmes ou des collines d’incohérence et qui fit de lui un marcheur quelque peu cul-de-jatte. C’est pourquoi, par principe, il peut être pardonné à moitié.
Mais Henric sut sortir de ses propres pièges sans pour autant tomber dans des retournements de bien de ses pairs. En ce sens, il fait la jonction entre Sade et Sollers, la peinture italienne et Jim Dine. Il sait établir la force de l’image et du texte. La première est « entraîneuse », le second « vaurien ». De cette célébration inédite Basquin tire une leçon particulière et implicite : ne serait-il pas plus rigolo d’être poète, dessinateur, photographe de l’intime (celui de Catherine Millet) qu’écrivain ou philosophe ? D’autant que, mine de rien, jusque dans ses analyses les plus péremptoires l’auteur reste un drôle de poète. On l’imagine se lever tard pour savourer des œufs mollets et de la confiture à la framboise. Ce n’est pas forcément juste. Il se peut qu’il se lève avant les poules pour vaquer à ses affaires…
Il n’empêche que, dans la pile de ses livres et de ses chroniques, l’auteur avec l’âge cultive une méfiance par rapport à un progrès non mesuré. Refusant d’être plié dans un sac avant d’être jeté à la mer, celui qui croit de moins en moins à la résurrection des seins défend la sacralisation des images quand elles ne se contentent pas de “fesse-toyer” dans le sens des cérémonies institutionnelles (Art-Press put s’y intégrer). Mais Henric ramène à la question majeure : une simple image n’est jamais une image simple. Basquin la développe avec habileté. L’auteur de Boxe méritait ce premier travail d’envergure.
jean-paul gavard-perret
Guillaume Basquin, Jacques Henric entre image et texte, Editions Tinbad, coll Tinbad essai, Paris, 2017.