Pierre Bayard, L’Affaire du chien des Baskerville

Et si Holmes s’était trompé dans son enquête sur le chien des Bas­ker­ville ? Pierre Bayard mène une contre-enquête brillante mais partiale

Quand il écrit Le Chien des Bas­ker­ville en 1901, sir Arthur Conan Doyle répond à la colère de ses lec­teurs qui n’ont pas sup­porté qu’il tue Sher­lock Holmes dans les gouffres du Rei­chen­bach dans la nou­velle Le Der­nier Pro­blème. Pierre Bayard mène ici avec rigueur son enquête lit­té­raire pour démon­trer à quel point le détec­tive s’est four­voyé (à des­sein ?) dans un roman que son créa­teur ne vou­lait pas écrire. S’il est évident que Conan Doyle s’est reposé sur les talents de Holmes pour négli­ger des indices et des traces fla­grantes, la thèse de Pierre Bayard, qui s’appuie sur le fait que les per­son­nages de fic­tion ont une âme bien à eux et qu’ils échappent par­tiel­le­ment à leurs créa­teurs, souffre d’une lec­ture a pos­te­riori. Cepen­dant elle a l’avantage de mettre en avant la suf­fi­sance de Holmes et ses négli­gences. Ainsi, si Holmes explique à Wat­son que dans ses enquêtes, l’observation, la com­pa­rai­son et le rai­son­ne­ment à rebours se déroulent par­fois en même temps il n’en demeure pas moins, comme le rap­porte Pierre Bayard, que la méthode Holmes tient à la confu­sion sub­ti­le­ment entre­te­nue entre la loi scien­ti­fique et la géné­ra­lité sta­tis­tique. Ce qui est loin d’être ration­nel ! Les Hol­mé­siens convain­cus crie­ront au scan­dale mais la lec­ture jubi­la­toire de cet essai, qui remet en cause la réso­lu­tion de l’énigme d’un des plus grands romans poli­ciers, sèmera le doute.

Pierre Bayard, inven­teur génial de la cri­tique poli­cière, conduit par l’absurde une enquête qui le mène à pro­po­ser son cou­pable, à savoir Béryl, la sœur du cou­pable dési­gné par Holmes, tout en inno­cen­tant un chien et un col­lec­tion­neur injus­te­ment dis­paru dans les marais de Dart­moor. Holmes était-il trop impa­tient de nous dévoi­ler son cou­pable ? Qui plus est un cou­pable que tout désigne ? Pierre Bayard fait valoir le prin­cipe clé d’Agatha Chris­tie : le cou­pable rêvé est la der­nière per­sonne à laquelle on pense, et celui que tout accuse est presque for­cé­ment inno­cent (à ceci près qu’un cou­pable génial ira se four­rer volon­tai­re­ment dans les bras de la police pour être inno­centé par un détec­tive qui dou­tera d’une culpa­bi­lité évi­dente).
Ce n’est pas un hasard si Pierre Bayard, qui avait déjà étu­dié le roman le plus célèbre d’Agatha Chris­tie, Le Meurtre de Roger Ackroyd, com­pare Le Chien des Bas­ker­ville avec L’Heure zéro. Pour lui, le génie du roman tient à ce que, comme dans L’Heure zéro, on assiste à un meurtre par esca­mo­tage. La main du meur­trier mani­pule celle du détec­tive pour conduire sur le bûcher un inno­cent et par­ve­nir ainsi à ses fins. Holmes serait donc vic­time d’une mani­pu­la­tion où un meurtre non iden­ti­fié, celui du pseudo-coupable par la jus­tice elle-même !, serait pla­ni­fié. Qu’importe que Pierre Bayard ait rai­son ou non, le plai­sir de lec­ture est là et le puzzle du Chien des Bas­ker­ville pro­pose un nou­veau motif qui laisse béat et son­geur. C’est là qu’est caché le talent de Pierre Bayard qui conclut ici, et en beauté, sa tri­lo­gie anglaise après Qui a tué Roger Ackroyd ? (d’après Le Meurtre de Roger Ackroyd, d’Agatha Chris­tie) et Enquête sur Ham­let (d’après Ham­let de William Shakespeare).

j. vedrenne

   
 

Pierre Bayard, L’Affaire du chien des Bas­ker­ville, Minuit coll. “Para­doxe”, jan­vier 2008, 176 p. — 14,50 €.

 
 

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