Voici un document fascinant sur un homme aux personnalités multiples, atteint d’une pathologie psychique très rare
Octobre 1977, USA, campus de l’université d’État de l’Ohio, comté de Colombus : trois étudiantes sont enlevées au petit matin. Elles sont violées, puis rackettées. Dépositions, portraits robots, relevés d’empreintes digitales, et, très vite les soupçons se portent sur un jeune délinquant depuis quelques mois en liberté conditionnelle, William Stanley Milligan. Une livraison de pizza et une arrestation plus tard, l’enquête est close. Mais s’il reconnaît les vols, le suspect nie farouchement les viols. Parfois agité, parfois calme, en tout cas étrange, il est soumis une expertise psychologique requise par le procureur. Commence alors l’une des plus fantastiques histoires qu’il ait été donnée d’écrire ; elle nous transporte au-delà de la folie, selon le titre de la dernière partie du livre de Daniel Keyes, Les 1001 vies de Billy Milligan. Édité dans la collection “Interstices” aux éditions Calmann-Lévy - cela ne pouvait mieux convenir…
Extrait de la quatrième de couverture :
William Stanley Milligan possède ce que l’on appelle une personnalité multiple, une affectation psychologique très rare qui fait de lui un être littéralement “éclaté” en plusieurs personnes différentes qui tour à tour habitent son corps.
Mais le mot “fragmenté” serait plus approprié. Chacune de ces vingt-quatre “personnes”, qui tour à tour prennent en main le “projecteur” - c’est-à-dire la conscience, la relation à l’extérieur — sont l’expression de l’unique “Billy fondamental”. Comme si, inconsciemment, il avait “explosé” intérieurement devant ses propres traumatismes, les violences subies, et que sa pathologie (déjà prégnante au cours de sa toute petite enfance), la séparation de chacune des facettes de son âme, s’était accentuée pour le protéger, pour qu’il puisse survivre. Toute la thérapie vise à fusionner ces “personnalités” afin que Billy maîtrise sa propre conscience, et sa propre relation au monde. Fruit d’un long travail intérieur, d’un effort mental insoupçonnable, la fusion de ces vingt-trois personnalités s’est enfin opérée pour n’en constituer qu’une seule, “Le Professeur”.
“Le Professeur’” possède pratiquement la mémoire absolue, c’est son apparition — et son aide — qui ont permis la rédaction du livre.
Daniel Keyes nous fait alors cheminer aux côtés de “Ragen”, le gardien de la haine, d’ “Arthur”, l’Anglais intellectuel, d’ “Allen”, de “Christine” ou d’ “Alabana”, les enfants… Il nous raconte leurs histoires, il nous décrit leurs visages, leurs sentiments, leurs relations “inter-âmes” parfois compliquées… (Pour mieux comprendre ce dont nous parlons : avez-vous vu Le Seigneur des Anneaux ? Vous souvenez-vous de Gollum, et de sa relation très spéciale avec Sméagol ? Avez-vous regardé la série Heroes cet été sur TF1 ? Vous souvenez-vous de Nikki, et de sa relation très spéciale avec sa sœur Jessica ? Multipliez ces dialogues incessants et vous aurez un commencement d’idée sur ces relations “inter-âmes”.)
Le plus déroutant est pourtant à venir : chaque “personnalité” possède sa propre conscience (soit), mais aussi son propre monde intérieur (pensées, sentiments, motivations… etc.), sa propre physionomie, et, peut-être, son propre inconscient. En dehors du “projecteur”, ils vivent leur vie : Christine joue avec Ragen tandis qu’Arthur se consacre à ses études de médecine… Mais laissons la parole à “Arthur” lors de son explication aux “enfants” — c’est-à-dire aux personnalités parmi les vingt-quatre qui sont des enfants.
Essayez d’imaginer. Nous tous — cela fait beaucoup de monde dont un certain nombre de personnes que vous ne connaissez pas — nous sommes tous réunis dans une pièce sans lumière. Au centre, un projecteur éclaire brillamment le sol. Celui qui entre dans la lumière, sous le projecteur, entre dans le monde et prend la conscience. C’est cette personne que les gens de l’extérieur voient et entendent, c’est à ses actes qu’ils réagissent. Les autres personnes, autour du projecteur, poursuivent leurs occupations habituelles, étudient, dorment ou jouent. Celui ou celle qui se montre à l’extérieur doit faire très attention de ne pas révéler l’existence des autres. C’est un secret de famille.
La lecture des 1001 vies de Billy Milligan est fascinante, toujours ; mais elle n’est jamais inconvenante — nous n’assistons pas à une exposition de bête de foire, type Freaks de Ted Browning. Au contraire, l’auteur ne juge pas, n’essaie jamais de “comprendre” : il relate, expose sensiblement la cohérence de ces “vies”. Nous commençons la lecture de ce document comme chacun des protagonistes (avocats, psychiatres, juges…) entame sa relation avec Billy : d’abord sceptiques, nous sommes peu à peu fascinés, puis conquis, et enfin, ébranlés dans notre propre unicité.
m. maudin
Daniel Keyes, Les 1001 vies de Billy Milligan (traduit par Jean-Pierre Carasso), Calmann-Lévy coll. “Interstices”, septembre 2007, 463 p. — 19,90 €. |
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