Evelyne Lever, Marie-Antoinette, Journal d’une reine/Riccardo Calimani, Histoire du Ghetto de Venise

Des Texto qui n’ont rien à voir avec votre mobile mais tout à dire sur l’Histoire, de mul­tiples manières… et à petit prix

Lancée à l’occasion du salon du Livre 2007 par Son excel­lence séré­nis­sime Jean-Claude Zyl­ber­stein lui-même, la belle et jeune col­lec­tion “Texto” est sur le point de souf­fler sa pre­mière bou­gie. Près d’une ving­taine d’ouvrages plus tard, on ne peut que s’en réjouir : sur le front de l’histoire ouverte et sti­mu­lante n’a été pro­posé que du bon, voire du très bon…

D’emblée, le ton était donné avec la réédi­tion d’un ouvrage essen­tiel - Des hommes ordi­naires de Chris­to­pher R. Brow­ning - pour com­prendre la logique du mas­sacre sys­té­ma­tique des Juifs par les Ein­satz­grup­pen. Pas de grandes ana­lyses pom­peuses, ni de recen­se­ment mor­bide mais un minu­tieux exa­men d’archives, notam­ment celles du pro­cès de ces hommes, de bons pères de famille qui ont exter­miné des cen­taines de mil­liers de Juifs. Petites peines pour grands mas­sacres. Aux anti­podes de la fic­tion mal­saine des Bien­veillantes, Des hommes ordi­naires est impré­gné de la modes­tie du cher­cheur, exi­geant et rigou­reux, qui pré­sente ses sources, les décrypte et décrit alors l’homme vrai dans ce qu’il a de plus ter­rible et désarmant.

Il est dif­fi­cile, en regar­dant le cata­logue des ouvrages publiés, de sai­sir immé­dia­te­ment la ligne édi­to­riale de la col­lec­tion. Les genres s’y mêlent : mémoires, mono­gra­phies, témoi­gnages, récits, bio­gra­phies, recueils d’articles… un véri­table fatras. Aucune période ne semble par ailleurs pri­vi­lé­giée : on passe de la Grèce antique à l’époque contem­po­raine. Pas d’auteurs, ni de sujets for­cé­ment à la mode : cer­tains des ouvrages sont des clas­siques, de forme et d’esprit ; d’autres, au contraire, sonnent comme des essais. Éclec­tisme donc. Mais pour­quoi une telle liberté de choix ? Caprices ? Hasards de lec­tures indi­vi­duelles d’un direc­teur de col­lec­tion cyclo­thy­mique ? Que nenni. Laissons-le donc pré­sen­ter son bébé :
Livres de sagesse, de réflexion, et d’analyse donc, mais aussi livres de diver­tis­se­ment, dès lors qu’ils échappent aux écoles et aux aca­dé­mies, bref à l’orthodoxie. 

Ainsi pré­sen­tée, l’histoire n’est pas une dis­ci­pline mais une matière. Une matière ouverte, en for­ma­tion. Une matière qui se pense. Les ouvrages édi­tés l’approchent de manière trans­ver­sale. L’histoire n’est pas mépri­sée : ni prise de haut, comme un réser­voir de réfé­rences cultu­relles, par­ti­sanes et mémo­rielles, ni prise d’en bas, per­çue alors comme une com­pi­la­tion d’anecdotes sté­riles et insi­gni­fiantes. Il y a un sens his­to­rique de la prise de Constan­ti­nople, qui n’est pas un évé­ne­ment anec­do­tique et qui ne doit pas non plus s’inscrire comme une réfé­rence poli­tique com­mu­nau­taire. La prise de Constan­ti­nople a sa propre logique, qu’il faut iden­ti­fier et res­pec­ter. La col­lec­tion “Texto” met en avant des his­toires tra­ver­sières, authen­tiques et véri­tables, en somme.

Comment mieux illus­trer notre pro­pos qu’en pré­sen­tant les deux petits der­niers de la col­lec­tion ?
Marie-Antoinette n’a jamais tenu de jour­nal intime. C’est pour­tant son jour­nal qu’Evelyne Lever nous pro­pose de lire. Cher­cheuse au CNRS, l’auetur est une grande spé­cia­liste de la reine : on lui doit notam­ment une bio­gra­phie remar­quée et récom­pen­sée, ainsi qu’une édi­tion de la cor­res­pon­dance de la reine dont elle a récem­ment dirigé la pré­pa­ra­tion. Nour­rie de sa culture his­to­rique, de ses réflexions, de sa connais­sance intime et pro­fonde de la sou­ve­raine, elle a pu ainsi recom­po­ser ce qu’aurait pu être le jour­nal de cette femme au des­tin tra­gique. La source n’existait pas, alors l’historienne s’est amu­sée à la créer. Exer­cice salu­taire. À quel point les cher­cheurs eux-mêmes ne reconstruisent-ils pas les sources qu’ils étu­dient ? Et c’est fina­le­ment un véri­table por­trait, rigou­reu­se­ment scien­ti­fique, qui se des­sine à la lec­ture de l’ouvrage : une jeune reine fri­vole, ani­mée du désir de plaire et de chan­ger cer­tains codes de la cour, sou­ve­raine sou­vent délais­sée, à la fois consciente de son rôle poli­tique et pour­tant sou­mise à des pres­sions contraires et à des forces sociales pro­fondes qu’elle peine à conce­voir. La recons­truc­tion de l’intimité d’une reine est aussi un moyen de com­prendre par l’intérieur les pro­ces­sus qui ont mené à la fin d’un régime poli­tique et d’une forme de pou­voir. Mais la fin de la monar­chie abso­lue pouvait-elle se conce­voir de l’intérieur ?

Riccardo Cali­mani est un juif de Venise, ingé­nieur, phi­lo­sophe et his­to­rien. Son His­toire du Ghetto de Venise, parue pour la pre­mière fois en 1985, retrace l’histoire d’une com­mu­nauté à l’épreuve des dif­fé­rents bou­le­ver­se­ments euro­péens depuis le Moyen-Âge. L’ouvrage de forme clas­sique, par­fai­te­ment docu­menté et pré­cis, per­met de sai­sir aussi bien les des­ti­nées indi­vi­duelles que col­lec­tives. Entre la belle et puis­sante cité lagu­naire et la com­mu­nauté juive, dont des per­son­na­li­tés ont elles-mêmes contri­bué à écrire la légende, les rela­tions furent pour le moins chao­tiques, au gré des cir­cons­tances et des périodes de crise ou de pros­pé­rité. Au XVe siècle, les Juifs pou­vaient, par des prêts finan­ciers, assu­rer un cer­tain ordre social à peu de frais pour le pou­voir et être dési­gnés à l’occasion comme d’ignobles pro­fi­teurs par ce même pou­voir. Les Juifs furent ainsi tan­tôt atti­rés, pour être ensuite chas­sés ou regrou­pés dans un quar­tier fermé spé­ci­fique. Les forces poli­tiques et reli­gieuses ont contri­bué à façon­ner des rela­tions com­plexes faites d’interdépendance et de rejet. L’étude pré­cise de ces forces ne sert guère le repli com­mu­nau­taire, au contraire, la science his­to­rique n’est pas un mar­ty­ro­loge, comme l’écrit bien l’auteur dans sa conclu­sion : 
Si l’effort déployé pour connaître son propre micro­cosme cultu­rel a bien un sens, celui-ci ne peut rési­der que dans la lutte pour la tolé­rance et la jus­tice à l’égard de tout homme, à l’égard de tout peuple .

Si l’histoire est un com­bat, “Texto” com­bat donc pour l’histoire. Alors, souhaitons-lui un bon anniversaire.

Visi­tez l’espace Texto sur le site des édi­tions Tallandier…

camille ara­nyossy

   
 

-  Eve­lyne Lever, Marie-Antoinette, Jour­nal d’une reine, Tal­lan­dier coll. “Texto — Le goût de l’histoire”, jan­vier 2008, 8,00 €.
-  Ric­cardo Cali­mani, His­toire du Ghetto de Venise (tra­duit par Sal­va­tore Rotolo), Tal­lan­dier coll. “Texto — Le goût de l’histoire”, jan­vier 2008, 8,00 €.

 
     
 

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