Yves-Henri Nouailhat, Truman, un chrétien à la Maison Blanche

Un ouvrage ori­gi­nal qui n’est pas une bio­gra­phie de Tru­man mais une réflexion sur la façon dont ses convic­tions reli­gieuses ont guidé sa politique

C’est un livre ori­gi­nal que nous pro­pose Yves-Henri Nouial­hat sur le pré­sident Harry S. Truman.

Le suc­ces­seur de Roo­se­velt est, il est vrai, une per­son­na­lité inté­res­sante pour l’historien. Il pré­side aux des­ti­nées des États-Unis dans une période abso­lu­ment char­nière de leur his­toire : la fin défi­ni­tive de l’isolationnisme et l’engagement dans la Guerre froide. Atta­qué aussi bien par les thu­ri­fé­raires de Roo­se­velt que par l’historiographie mar­xiste qui l’accusent ensemble d’être res­pon­sable de la Guerre froide, cet homme timide, choisi par Roo­se­velt comme vice-président parce qu’il vou­lait à ses côtés un homme effacé, se retrouve, à la mort du pré­sident, à la tête des États-Unis. Tenu à l’écart, sans aucune connais­sance des dos­siers, il mène son pays à la vic­toire, ordonne l’utilisation de l’arme ato­mique, avant de prendre la tête de la croi­sade contre le com­mu­nisme et l’URSS. Tout cela est connu. L’intérêt du livre de Nouail­hat se trouve ailleurs.

Il ne s’agit pas d’une bio­gra­phie de Tru­man (l’ouvrage est court) mais d’une réflexion sur ses convic­tions reli­gieuses et sur le poids qu’elles ont pu exer­cer sur ses prises de déci­sion. L’étude est agré­men­tée de très nom­breuses cita­tions sur les­quelles l’auteur bâtit ses ana­lyses, tout en offrant, en annexe, de très riches et utiles docu­ments (dis­cours, lettres).

Truman est incon­tes­ta­ble­ment un homme d’une grande foi. Appar­te­nant au cou­rant bap­tiste, impré­gné, comme il se doit, de la Bible, qu’il ne cesse de citer, il se carac­té­rise par un code moral qui lui fait appré­cier l’honnêteté, l’équité, la confiance. Chez cet homme simple, hon­nête et prag­ma­tique, se mêlent par­fai­te­ment foi reli­gieuse et valeurs du modèle amé­ri­cain. Il est per­suadé que Dieu, en fon­dant les États-Unis, a donné au monde un guide ; que cette nation pour­suit un grand des­sein, celui de libé­rer l’humanité. Ces convic­tions faci­litent donc la “conver­sion” de Tru­man, pas­sant d’une poli­tique de col­la­bo­ra­tion avec l’Union sovié­tique à une poli­tique de fer­meté d’où est issue la Guerre froide. Sa reli­gio­sité, et le mani­chéisme qui y est rat­ta­ché — le Bien contre le Mal — comme son atta­che­ment aux valeurs amé­ri­caines contri­buent à bâtir une vision assez simple du monde de l’après-guerre : le com­mu­nisme sans Dieu ne peut conduire qu’à un enfer, à un asser­vis­se­ment de l’homme jugé trop faible pour se gou­ver­ner lui-même. Les États-Unis doivent donc défendre le monde menacé par un tel sys­tème. C’est en se réfé­rant à la para­bole du Bon Sama­ri­tain que Tru­man offre l’aide des États-Unis et le plan Mar­shall à l’Europe rui­née. Dans ses dis­cours, reviennent constam­ment les mots “Divine Pro­vi­dence”, “mis­sion”, “des­ti­née” lorsqu’il s’agit d’expliquer l’interventionnisme américain.

L’auteur s’intéresse, dans des pages pas­sion­nantes, à la posi­tion de Tru­man dans la créa­tion de l’État d’Israël. Le cha­pitre sur les rela­tions avec le Saint-Siège s’avère par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant et ren­voie à l’un des cœurs de cette étude : le rôle ambigu joué par la reli­gion aux États-Unis. En effet, ce bap­tiste convaincu qu’est Tru­man, chef d’une nation où la reli­gion imprègne la vie publique jusqu’au som­met de l’État, ne par­vient pas à éta­blir des rela­tions diplo­ma­tiques avec le Vati­can de Pie XII, pro­jet qui pour­tant lui tient très à cœur pour unir les forces chré­tiennes contre le com­mu­nisme. La volonté pré­si­den­tielle se brise sur l’inflexibilité des Églises pro­tes­tantes arguant du Pre­mier amen­de­ment qui fait des États-Unis un État laïc et qui assure la sépa­ra­tion des Eglises et de l’Etat. Une ambas­sade au Vati­can assu­re­rait à l’Eglise catho­lique un pri­vi­lège anti­cons­ti­tu­tion­nel. Le rôle de Myron Tay­lor, repré­sen­tant spé­cial du pré­sident auprès du pape depuis la guerre est bien mis en relief.
 
On regret­tera en revanche le manque de détails à pro­pos de la déci­sion de lan­cer les bombes sur Hiro­shima et Naga­saki. Les pages qui y sont consa­crées n’apportent pas vrai­ment de réponses à cette ques­tion pour­tant cru­ciale : com­ment un homme aussi reli­gieux, aussi impré­gné des pré­ceptes bibliques a-t-il pu mettre de côté sa foi, qui pour­tant le guide dans sa poli­tique étran­gère, en ordon­nant la mort de cen­taines de mil­liers de civils ? Il n’empêche que nous dis­po­sons ici d’un livre sti­mu­lant et ori­gi­nal qui ouvre des pers­pec­tives d’études nova­trices sur le poids de la reli­gion dans le pro­ces­sus de prise de déci­sion. Et c’est là son grand mérite, au moment où George W. Bush s’apprête à quit­ter la Mai­son Blanche.

fre­de­ric le moal

   
 

Yves-Henri Nouail­hat, Tru­man, un chré­tien à la Mai­son Blanche, Cerf, avril 2007, 201 p. — 22,00 €.

 
     
 

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