Horizons et paradigmes de la peinture
Ecrits dans les temps contemporains, ces notes plus ou moins éparses permettent de faire le point sur une des oeuvres les plus marquantes de notre temps depuis le milieu(ou presque) du siècle précédent. Citations et annotations, prises de notes deviennent la substantifique moelle de celui qui griffonne ses réflexions nourries de lectures incessantes. L’artiste pratique la même collecte que pour son travail plastique. Les écrits en deviennent le commentaire. Chaque texte a donc comme but non lui-même mais la peinture.
Afin de rentrer de plain-pied dans celle-ci au moment d’une des crises endémiques qui la secoua après la seconde guerre mondiale et plus particulièrement dans les années 60 (le temps de digérer le choc), Pierre Buraglio a commencé son œuvre par une mise à mal du processus même de la peinture et de son effet de voile. Le peintre propose à cette époque des agrafages de triangles et rectangles « flottants » et des camouflages dans la dialectiques du montrer/cacher.
Ce choix devient la « phase ultime d’essais infructueux, d’une impossibilité qu’ils recouvrent en en ménageant, comme une mémoire, la trace ». Pour Buraglio, recouvrir est un paradoxe : c’est poser un voile sur une impossibilité et non sur une possibilité de monstration afin de laisser percer ce qui se cache dessous. L’absence de toute représentation devient implicite : il ne s’agit plus d’offrir un « spectacle » visuel quelle qu’en soit la nature (figuration et/ou abstraction). L’artiste refuse de présenter une « fiction d’espace » figurée mais uniquement l’espace du tableau contenu dans son cadre. Pas l’image de quelque chose, pas d’extra-pictural : mais ce que Beckett nome « la choséité » de la peinture.
Naît au-delà des recherches d’un Pollock une nouvelle peinture, bond par « mise entre parenthèses du monde ». Mais en même temps affronter la peinture avec ses moyens propres permet la subversion de la peinture et de son rapport au réel. Signifier devient l’oblitération de sa signification dans une visée que Blanchot à promis pour sa part à la littérature.
Consciemment critique, ce travail ne va pas se limiter à n’être qu’un écart en référence aux peintures de l’histoire. La réflexion passe aussi par la matérialité du support pour démystifier ce qui se passe dessus ou avec. Au résultat est privilégié le processus de sa fabrication. Cela est devenu une idée commune mais à l’époque il s’agit d’une véritable radicalité. Ecrans, cadres, châssis renvoient l’art à sa réalité basique.
Le rôle historique de Buraglio dans cette époque 60–70 est essentiel. L’art devient déceptif en des transparences encadrées. Elles vont parfois devenir des portes-fenêtres ouvrant sur rien comme si celui-ci devenait un tout. Buraglio ne cesse depuis de travailler selon divers cadres stylistiques et techniques ; « l’action fabricatrice, l’auto-dynamisme des matériaux bruts ou travaillés, la couleur se révèle dans un ensemble conceptuel voulu » écrit l’artiste.
Et il n’est pas jusqu’aux déchets picturaux de ses propres travaux (morceaux de toile, de châssis imprégnés de couleurs) à construire une hygiène de l’art en train de se faire Les notes prélevées pendant ces quinze dernières années manifestent la logique de l’œuvre et y ajoutent un ruban supplémentaire en fragments, placés comme entre deux angles pour scinder la surface textuelle. Il s’agit donc d’autres « fenêtres » qui ouvrent encore le champ visuel et la peinture perdue puis retrouvée.
jean-paul gavard-perret
Pierre Buraglio, Notes discontinues (Écrits 2005–2017, avec des textes retrouvés moins ceux momentanément égarés), Préface de Pierre Wat, Editions L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2017, 200 p. — 25,00 €.