Un des pré-textes du superbe texte de Huot est l’œuvre d’Edward Munch, « The two human beings. The Lonely Ones ». L’autre : les confessions intimes d’une jeune sainte morte des affres de l’amour à 25 ans et qui fut canonisée. A partir de tel ingrédients, l’auteur offre un regard direct, provoquant, parfois inquisiteur, grimaçant, souvent violent et paroxysmique. Il pousse le sentiment amoureux vers un désastre pour en rejoindre un autre (le premier) une fois la boucle bouclée.
Entre deux créatures désirantes, assujetties à leur passion, se joue l’expérience de la jouissance et de la souffrance là où le sommeil le plus profond de l’aimée empêche son amant de dormir. La temporalité mue l’anecdote en archétype. La puissance du désir est aussi violent, sacré qu’honteux et immoral et surtout inaliénable à la raison. Les amants deviennent les drogués masochistes d’une passion. Elle conjugue douleur et plaisir face à un corps qui se donne sans se donner, expire presque au sein d’une quête sans fin, avant que tout se referme - « l’oubli ayant de toujours commencé » là où le corps est à la fois avec et sans organes.
Existe une expérience hallucinatoire des passions. Le concept de corps vécu proposé dans la phénoménologie est peu de chose par rapport à une Puissance plus profonde et presque invivable. Il n’est plus vraiment le corps vécu, parce que ce dernier impliquerait encore une part de rationalité à travers la conscience intentionnelle de la part de l’amante. Or ici il se développe en vertu d’un au-delà d’une limite au moment où la femme plonge dans le chaos, dans la nuit, et où les différences de niveau de conscience (ou de folie) sont perpétuellement brassées avec violence.
Cyril Huot crée donc une fiction rare où l’objectif est de capter des forces. Le corps est à la fois une surface d’enregistrement mais aussi un gouffre. Le héros tente de faire éprouver des sensations de fusion dont les effets ne pourront répondre à son attente. Ainsi, à la manière de Munch, l’auteur « peint » la « viande » animée par le flux vital, l’insistance d’un cri muet qui subsiste à la bouche, l’insistance d’un corps qui résiste à l’organisme.
La relation amoureuse devient cette possibilité impossible vécue de l’intérieur du corps, de l’intimité d’une fusion sacrilège ou sacrifiante. Jaillit le spectacle d’un homme hurlant qui tente à la fois de restituer, fixer et mettre à distance, et représenter la folie d’amour de celle qui se donne en un transport amoureux masochiste et violent. L’effusion d’amour ne peut mener qu’aux portes de l’enfer au nom d’une mystique qui rappelle parfois les textes d’Angèle de Foligno.
Il existe en la Sainte du livre un devoir de s’offrir pour racheter ses péchés, comme si elle se sentait nulle face à celui à qui elle se donne non en volonté propre mais sous sa soumission dans l’espoir que ce “sacrifice” lui donnera l’amour absolu, l’Amour-Dieu.
Sa volonté ne pouvant qu’offrir son vide, elle comprend la profondeur de sa réalité centrale qui est de se sauver de l’indignité et de la peine de l’Enfer. Cela ne viendra pas de la connaissance de la Vérité Fusionnelle mais d’un abandon charnel. En attendant mieux. Et avant que tout s’achève pour elle comme pour celui qui écrit depuis une « mort toujours survenue » sur les lèvres même de l’Inconnue.
Auparavant, le livre puissant aura été celui de l’hystérie, en ce sens où il renvoie à un état de pure présence à la sensation et de rupture de toute mise à distance du réel par sa représentation de la folie d’aimer face à laquelle l’ « Amour Fou » de Breton n’est qu’une plaisanterie de salon.
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jean-paul gavard-perret
Cyril Huot, Secret, le silence, Editions Tinbad, Paris, 2017, 154 p. - 15,00 €.
Oh là là, cher JPGP : quel texte ! quel talent ! Merci.