Arnaud Le Guern, Une âme damnée : Paul Gégauff

Une bio­gra­phie déce­vante : ciné­philes inté­res­sés par Gégauff, ce livre n’est pas pour vous, et l’on s’étonne qu’il ait pu trou­ver un éditeur

On se réjouis­sait d’avance de lire un ouvrage consa­cré à Paul Gégauff, scé­na­riste mar­quant et per­son­nage aux extra­va­gances légen­daires, autre­ment dit, un sujet de bio­gra­phie des plus propres à nous mettre en appé­tit. Hélas, le livre d’Arnaud Le Guern sus­cite dès son pre­mier cha­pitre une décep­tion vouée à croître pour se muer en exas­pé­ra­tion, au fur et à mesure des défauts qu’il accu­mule, dou­blés d’une com­plai­sance envers soi-même qui s’étale sans gêne.
Pré­ve­nons le lec­teur qui ne s’en serait pas douté : le récit nous ren­seigne davan­tage sur son auteur que sur Gégauff, le pre­mier se consi­dé­rant comme un double du second, sous pré­texte des points com­muns, essen­tiels à ses yeux, consis­tant à aimer boire, pares­ser et faire l’amour. Jugeant super­flu, voire condam­nable le tra­vail néces­saire pour rédi­ger une vraie bio­gra­phie – qui serait fata­le­ment ennuyeuse à son sens -, Arnaud Le Guern nous livre des pas­sages aussi pas­sion­nants que le sui­vant : J’écris sur Gégauff comme il écri­vait ses scé­na­rios, ses dia­logues. Je com­mence par ne rien faire, pen­dant long­temps. Je laisse peu à peu tom­ber la mai­son d’édition qui me paie et qui, bien­tôt, me signi­fiera son congé défi­ni­tif. Ça s’appelait un “plan social“. Ça s’appelle désor­mais un “plan de sau­ve­garde de l’emploi“. Je déstruc­ture les jour­nées, mati­nées légères et non grasses, heures sus­pen­dues. D’un bai­ser, je sors de la nuit, je goûte l’aube sur les lèvres de miss K. Je la regarde choi­sir des étoffes que j’aime, tra­cer dans la ville endor­mie. Je sniffe l’air encore froid par la fenêtre. Je garde sur mon visage le par­fum vivant et chaud de la peau de miss K. Un café, un peu de fumée, je flâne. (p. 109) Autre mor­ceau de choix : Je ne vais plus au cinéma parce que les fesses de miss K. sont un pré­sent plus pré­cieux que le cul de Valé­rie Lemer­cier, dans Le Der­rière, et que le cul d’Eva Green, reti­rant sa culotte rosée, dans The Drea­mers. (p. 155).

Le lec­teur qui aurait attendu d’un livre sur Gégauff autre chose que ce point de vue au ras des fesses n’a qu’à se diver­tir en dénom­brant les approxi­ma­tions du texte dès qu’il y est ques­tion de cinéma, dont quelques-unes font se deman­der si Le Guern ne parle que d’après un vague ouï-dire de cer­tains films qu’il évoque. Ainsi, L’Insoumis d’Alain Cava­lier est pré­senté sous le titre Les Insou­mis (p. 74), et son réa­li­sa­teur, comme ayant “connu les mêmes sou­cis”, à cause de la cen­sure, que Godard à l’époque du Petit sol­dat, alors qu’en réa­lité, le film de Cava­lier a été retiré de l’affiche suite à un pro­cès pour atteinte à la vie pri­vée. Mais ce ne sont sans doute là que des détails sans impor­tance au sens d’Arnaud Le Guern, étant donné qu’il n’a même pas jugé bon d’indiquer les sources des pro­pos attri­bués à Paul Gégauff, nous lais­sant ainsi sans moyen de savoir s’ils sont authen­tiques ou retou­chés, voire com­plè­te­ment inven­tés.
En somme, ciné­philes inté­res­sés par Gégauff, ce livre n’est pas pour vous, et l’on s’étonne qu’il ait pu trou­ver un éditeur.

agathe de lastyns

Arnaud Le Guern, Une âme dam­née : Paul Gégauff, éd. Pierre-Guillaume de Roux, août 2012, 186 p. — 19,50 €

1 Comment

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One Response to Arnaud Le Guern, Une âme damnée : Paul Gégauff

  1. Marc

    Entiè­re­ment d’accord avec vous, c’est une grande décep­tion. Sous la plume médiocre de Le Guern, Gégauff n’est qu’un pré­texte utile à se faire connaître. Il méri­tait mieux. Une minute de gloire avant le pilon, le but est atteint.

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