L’indulgence mémorielle dont bénéficie encore le communisme de nos jours comporte plusieurs mensonges. L’un d’entre eux se situe dans l’opposition entre le gentil Lénine et le méchant Staline, bel héritage en vérité du XX° congrès du PCUS de 1956. Pourtant, le Géorgien se montra le fidèle disciple, idéologique et politique, de son maître, l’effrayant Oulianov.
Car cet homme, objet d’une vénération quasi religieuse pendant des décennies, fut, à bien des égards, un personnage terrifiant. Et il fallait toute la science et la clairvoyance de Stéphane Courtois pour le décrire dans sa réalité d’inventeur du totalitarisme. La biographie qu’il consacre au fondateur de l’Urss permet ainsi de saisir le parcours idéologique du révolutionnaire bolchevique en amont et en aval.
En amont car l’historien du communisme et de sa mémoire analyse avec précision le fil qui conduira ce fils d’une famille aisée et conservatrice à devenir le fossoyeur sanglant de la Russie tsariste et de la démocratie russe. Deux traumatismes d’abord, celui de la mort de son père, puis de son frère, matrices de son engagement révolutionnaire, lequel pulvérisa son cursus universitaire autant que sa position sociale. Emerge alors la litanie des intellectuels qui marquèrent le jeune homme, l’aidant à structurer sa pensée : Marx bien sûr mais surtout Tchernychevski, Netchaïev, Plekhanov ; tous hommes adeptes de la violence et de la régénération dans une Russie décrite comme un bouillon de culture et de violences.
A partir de là, le narcissique, froid et sans pitié Lénine élabora sa propre vision de la révolution marxiste autour d’un Parti militarisé, coupé de la société qu’il voulait régénérer. Il subit d’ailleurs constamment l’influence de la Révolution française dans sa phase terroriste de 1792–1793 dont on ne dira jamais assez qu’elle fut la mère de toutes les horreurs du XX° siècle.
En aval ensuite car une fois le pouvoir conquis par le coup d’Etat d’Octobre 1917, Lénine devint un être sanguinaire qui appliqua avec méthode la violence qu’il avait théorisée quand il n’était encore qu’un inconnu minoritaire dans la galaxie socialiste de son temps. La brutalité, pour ne pas dire la bestialité, avec laquelle la malheureuse société russe – première victime de la Grande Catastrophe de 1917 – fut nivelée, autant que les chiffres des victimes donnent le tournis. Rien ne fut inventé par Staline qui se contenta d’amplifier le système totalitaire mis en place entre 1917 et 1922.
Car ce fut le totalitarisme qui surgit des ruines du tsarisme, le premier de l’histoire, celui dont le fascisme et surtout le nazisme s’inspirèrent. Car tous trois, expression d’une Utopie démentielle, voulurent établir un paradis sur terre. Or, comme le dit Anatole France : « Quand on veut rendre les hommes bons et sages, libres, modérés, généreux, on est amené fatalement à vouloir les tuer tous. » C’est ce que fit Lénine.
frederic le moal
Stéphane Courtois, Lénine, l’inventeur du totalitarisme, Perrin, septembre 2017, 498 p. — 25,00 €.