« Au minuscule fraisier que nous fûmes »
La poésie de Laurent Cennamo est d’une finesse et une simplicité rarissime entre ce que, pour sa part, Michaux nommait des “poteaux d’angles”. L’auteur réussit l’exploit de rappeler le passé aussi mélancolique qu’heureux sans la moindre nostalgie. Tout est de l’ordre de la caresse avec autant de tendresse que d’humour au cordeau. Il n’existe jamais rien de trop. Le présent ne corrompt pas le passé, il n’est donc pas là au service d’une passivité affective ou mentale.
La poésie reste vive, animée, drôle, bourrée de notations subtiles. Au nom du passé, écrit l’auteur, « avoir un enfant serait comme creuser / un second puits à côté du mien (seulement / moins profond) » . Il s’agit donc, ici, de se retremper dans le premier entre Chêne-Bourg et la vallée de l’Arve. Mais ce puits est autant un soleil que la flaque d’eau noire qu’on voit en se penchant dessus. Bref, c’est la chaleur dans l’eau froide avant de retrouver, en retournant dans la maison de jadis un « Sachet de Thé vert / dans l’évier en inox,/ lune d’été » - Preuve que le Haïku n’est pas l’apanage des orientaux extrêmes.
Tout est du même niveau dans ce livre qui serait parfait pour Montaigne. Il y trouverait un semblable, un frère et surtout l’Ami. Certes, celui-ci a soudainement disparu. Mais les solitudes ou les penchants nocturnes du passé retrouvent ici une clarté et une fièvre. Le présent reste le point du jour sur des talus d’aurores qui ne furent pas abstraites. Si bien que l’adulte n’est pas le Prince déchu de son enfance. Il se délecte de ses semences loin des sagas chers aux élégiaques : ceux-ci ne restent pour lui comme pour Baudelaire rien d’autre que des « canailles ».
Les pointes de la jeunesse ne sont donc pas des harpons rouillés sur le rivage du Léman. Et Cennamo à d’autres envies que de s’y noyer. Certes, sur le puits de l’enfant certaines poulies grincent. Rue Caroline par exemple où le poète aimerait dormir encore. Mais tout compte fait les trombones sur la place de Plainpalais lancent le rut existentiel des nègres blancs de Genève
A sa manière, l’auteur crée sur cette portée ses poèmes. Le silence d’avant vacille par le murmure d’aujourd’hui. C’est une superbe complainte sans tristesse, du pain émietté aux fenêtres pour les lectrices et lecteurs qui ont faim de tendresse et de soleil. Hors de ce monde fuient l’ombre du vent et les songes creux.
jean-paul gavard-perret
Laurent Cennamo, Les Angles étincelants, Editions La Dogana, Genève, 2017, 78 p. - 25,00 CHF et €.