Serge Quadruppani, Loups solitaires

Un polar ultra-contemporain 

Serge Qua­drup­pani met en scène, dans un cadre très actuel, la fine fleur de l’espionnage en lutte contre le ter­ro­risme et des indi­vi­dus entraî­nés dans ce contexte. Il fait montre d’une remar­quable connais­sance de cet uni­vers de l’ombre, de son fonc­tion­ne­ment et de ses pra­tiques habi­tuelles. Orga­nisé en deux par­ties sépa­rées de vingt-deux mois, l’auteur livre un récit dense, docu­menté, étayé de belle manière. Son intrigue, aux res­sorts mul­tiples, est retorse, dévoi­lant peu à peu la per­son­na­lité réelle des pro­ta­go­nistes, les moti­va­tions qui les meuvent. L’action est omni­pré­sente et les péri­pé­ties s’enchaînent sans répit, sans digres­sions super­flues.
Les plages de lec­ture un peu plus calmes sont lar­ge­ment consa­crées aux ani­maux dont l’auteur décrit de façon pas­sion­nante les modes de vie, les pul­sions et les attaches vis-à-vis de l’homme. Il évoque évi­de­ment le loup mais aussi les poules et autres gal­li­na­cées dont on ignore trop sou­vent l’attachement qu’elles peuvent avoir vis-à-vis de ceux qui les côtoient, les nour­rissent. Les chou­cas occupent une place dans le dérou­le­ment de l’intrigue comme les blai­reaux dont il dévoile une face peu connue de leur existence.

Chris­tian Mey­nan­dier, pro­fes­seur, chef du ser­vice de chi­rur­gie à Limoges, subit un choc quand il ne peut empê­cher la mort d’un enfant après un acci­dent. Il quitte toutes ses acti­vi­tés pour se consa­crer, pense-t-il, à l’élevage de ses poules. Pierre Dhi­boun est un offi­cier des forces spé­ciales infil­tré dans les réseaux dji­ha­distes au Mali. À la fron­tière italo-française, il fait la connais­sance d’un écri­vain ita­lien en route pour un congrès à Lyon, prend sa place puis dis­pa­raît de tous les radars. Claire Leroy, qui semble être la seule per­sonne avec qui Pierre a noué des liens plus durables est recru­tée par la géné­ral Natha­lie Dubien. Cette der­nière est res­pon­sable de l’opération dans laquelle est impli­qué Pierre, une mis­sion dont elle ne rend compte qu’au Pré­sident. Jane House est veuve depuis quelques jours. Étho­logue, elle reprend du ser­vice au centre inter­na­tio­nal de recherche sur le com­por­te­ment ani­mal implanté dans une struc­ture mili­taire sur le pla­teau du Limou­sin, injus­te­ment bap­tisé pla­teau de Mil­le­vaches.
Scor­pion, un réseau occulte au ser­vice d’une oli­gar­chie éco­no­mique et poli­tique essen­tiel­le­ment amé­ri­caine, résur­gence d’une ancienne struc­ture, veut orien­ter les évé­ne­ments dans le sens le plus favo­rable à aux inté­rêts de ses man­dants. Les dif­fé­rents ser­vices de ren­sei­gne­ments sont à la recherche de Pierre car celui-ci, par la teneur de son der­nier mes­sage, semble s’être radi­ca­lisé au contact des dji­ha­distes. Or, c’est un agent sur­en­traîné, une vraie machine de guerre dont tout est à craindre. Et les par­cours de ces dif­fé­rents pro­ta­go­nistes vont se croi­ser, che­mi­ner, pour le meilleur et pour le pire…

Le roman­cier pos­sède une vision nette et pré­cise de la situa­tion géo­po­li­tique actuelle, évo­quant, par exemple, les ten­dances pour une élec­tion à venir, ten­dance confir­mée par les faits. Il relate, avec réa­lisme, les états d’âme de ces sol­dats qui doivent s’intégrer dans des groupes où la méfiance va de pair avec la cruauté et l’absence de morale. Il évoque les sen­ti­ments que peuvent res­sen­tir les indi­vi­dus qui uti­lisent ces armes sophis­ti­quées, tels ces drones qui tuent à dis­tance, et la déper­son­na­li­sa­tion qu’elle entraîne. Il décrit les nou­velles psy­choses que ce mode guer­rier peut engen­drer.
Mais ce roman est tra­versé éga­le­ment par des sen­ti­ments cou­rants, com­muns tels que la jalou­sie, l’amour, l’intérêt pour les autres. Qua­drup­pani dépeint avec pré­ci­sion les atti­tudes que prennent des res­pon­sables de très haut niveau et la manière dont ils savent se défaus­ser sur les autres quand leurs idées, leurs choix tournent courts.
L’auteur livre nombre de réflexions per­ti­nentes sur les rap­ports chao­tiques entre les dif­fé­rents ser­vices de police, de contre-espionnage. Cette his­toire est ser­vie par un style alerte, une écri­ture d’une belle flui­dité, un art du récit, un sens du sus­pense et du double jeu. Le rythme est tonique. On change de pro­ta­go­nistes, de situa­tions, de lieux d’un para­graphe à l’autre sans, cepen­dant, perdre le fil du récit.

L’humour est très pré­sent même si’il est par­fois acerbe, grin­çant. Serge Qua­drup­pani se livre à quelques apar­tés réjouis­sants. Par exemple, lorsqu’il décrit une scène d’amour saphique avec de belles images, il pré­cise : “…nous n’en dirons pas davan­tage pour ne pas être accusé de flat­ter la par­tie mâle de notre lec­to­rat, très géné­ra­le­ment friande de ce genre de des­crip­tion.“
Loups soli­taires pro­pose une gale­rie de per­son­nages aux tem­pé­ra­ments riches, aux carac­tères tor­tu­rés, aux moti­va­tions tor­tueuses entraî­nés dans une intrigue passionnante.

serge per­raud

Serge Qua­drup­pani, Loups soli­taires, Édi­tions Métai­lié, coll. Noir – Autres hori­zons, octobre 2017, 240 p. — 18,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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