Voici un livre troublant, dont seuls jouiront les italianistes : il est à lire en version originale
Le livre écrit par Pier Luigi Baima Bollone, médecin italien reconnu, est assez déconcertant. Ouvrage historique, il nous plonge dans les méandres psychologiques de Mussolini, à l’aide des sources historiques classiques dont il dispose mais aussi de sa propre expérience médicale. Ainsi les évènements politiques du ventennio fasciste sont-ils analysés à travers le prisme de la réalité psychologique du dictateur. Et l’on en sort véritablement troublé.
Bollone entraîne le lecteur dans ce qu’il diagnostique comme un trouble narcissique de la personnalité. Cette pathologie serait le fruit de l’enfance de Mussolini, de la dureté d’un père que la mort de la mère ne peut adoucir. Le jeune Benito souffre donc très tôt d’une carence affective qu’il traîne toute sa vie et qui explique son besoin narcissique d’être au centre de tout, et spécifiquement de l’affection générale. Le décorum des cérémonies fascistes, le faste des lieux de pouvoir (pensons au palais de Venise et à la Salle de la mappemonde), jusqu’à sa gestuelle, en découleraient.
Autre trouble psychologique décelé, celui lié à la cyclothymie. Il est en effet connu que le Duce, durant toute sa vie, et spécialement durant les années de pouvoir, a traversé, à plusieurs reprises, des crises de dépression très graves, le laissant sans force, ni réaction, passif, prêt à subir les événements. La plus profonde est celle qui suit l’assassinat du député socialiste Matteotti en 1924. Mais Bollone en décèle les symptômes dès le séjour en Suisse du jeune Benito. La maladie s’exprime très souvent pendant la guerre, au gré des défaites italiennes, lors de la mort de son fils Bruno en 1942, et après sa chute en 1943 qui le pousse dans un état de prostration avancée. Le Duce aurait donc souffert d’hypomanie. Autre symptôme lié à la cyclothymie : son hyperactivité sexuelle, son besoin frénétique de relations charnelles avec des femmes de toutes origines sociales, que ce soit occasionnellement ou avec des maîtresses plus “officielles” (Margherita Serfati et bien sûr Claretta Petacci qui le suit jusque dans la mort). Là aussi, l’enfance, le manque d’affection, la mort précoce de sa mère, l’isolement du collège sont en cause. Pendant la guerre, ses troubles d’anxiété augmentent considérablement, jusqu’à le miner physiquement. Son ulcère à l’estomac lui occasionne des souffrances abominables qui le font se rouler par terre, tordu en deux.
Les pages consacrées à sa chute en 1943 s’avèrent véritablement passionnantes. Le livre offre en effet une grille de lecture pour les événements de juillet 1943, à savoir le vote de défiance du Grand Conseil fasciste, sa destitution par le roi, puis son arrestation. Trois traumatismes psychologiques en 24 heures, aux effets dévastateurs sur son esprit et sa réactivité, que Bollone définit comme une anesthésie émotive. Ainsi subit-il passivement les événements. Une fois prisonnier sur l’île de Ponza, il semble se rapprocher de la religion, lui qui n’est jamais passé pour un défenseur acharné de l’Église catholique (ne comparait-il pas les prêtres à des cafards ?). Pour autant, les effets du traumatisme se font encore sentir lors de son séjour au Gran Sassso, dans les Abruzzes, d’où les nazis finissent par le libérer : agressivité, colère, refus de certains souvenirs, surtout ceux liés à sa chute. Mussolini retrouve certes le pouvoir avec la République de Salo’, mais certainement pas ses talents ni sa force physique et psychologique. Un homme en fait brisé de l’intérieur. Mais toujours le charme s’exerce, notamment sur ses propres geôliers, mais aussi sur les foules. Force de la propagande bien sûr, mais Bollone n’écarte pas la thèse d’une manifestation du syndrome de Stockholm.
La lecture de ce livre est finalement très stimulante. Certes, il n’apporte pas vraiment de connaissances nouvelles sur le personnage mais il offre une vision nouvelle, met des noms médico-techniques sur des faits connus et présente une analyse historique par un biais que l’historien aurait tort de négliger.
frederic le moal
Pier Luigi Baima Bollone, La psicologia di Mussolini, Mandadori coll. “Ingrandimenti”, avril 2007, 262 p. — 17,00 €. |