Fabrice Bouthillon, Et le bunker était vide

Ce petit livre d’à peine 80 pages nous apprend à lire, au terme d’une for­mi­dable leçon, le tes­ta­ment poli­tique d’Hitler

Le 29 avril 1945, à quatre heures du matin, Hit­ler, plan­qué au fond de son bun­ker, malade, tiraillé entre la rage et l’abattement, signe son tes­ta­ment poli­tique. Il se sui­cide le len­de­main. On connaît bien le dérou­le­ment de ses der­niers jours : des livres comme celui de Joa­chim Fest ou des films comme La chute d’Olivier Hir­sch­bie­gel y ont contri­bué. L’auteur, jus­te­ment, dans son pro­logue, part de ce film et invite, en citant George Ber­nard Shaw, à rem­pla­cer les images par des textes. Il faut pas­ser de la vision de l’icône sym­bo­lique, par trop mythique d’un Hit­ler malade et à bout de souffle, à la lec­ture de ce qu’il a écrit. C’est-à-dire rem­pla­cer la chute par la der­nière trace. Si l’image est un écran, le texte est une passerelle.

Or, ces quelques pages qui consti­tuent le tes­ta­ment poli­tique d’Adolf Hit­ler, connues et uti­li­sées lors du pro­cès de Nurem­berg, ont été pour le moins négli­gées par les his­to­riens. Certes, le contexte peut expli­quer que l’on s’y soit si peu inté­ressé : tout est déjà plié, le désastre mili­taire est irré­mé­diable. Alors, quelle impor­tance peuvent prendre ces der­nières élu­cu­bra­tions ver­bales ? Et pour­tant, petit à petit, l’étude du texte se déroule, magis­trale — dans le plus pur et le meilleur sens du terme : cet ouvrage est le résul­tat d’un tra­vail fait par ce pro­fes­seur d’Université de Brest avec ses étu­diants de pre­mier cycle, qu’il remer­cie - et on com­prend tout : l’intérêt du texte, la situa­tion des der­nières heures, la stra­té­gie hit­lé­rienne, son essence.

Il s’agit d’abord de mon­trer com­ment le tes­ta­ment poli­tique s’inscrit dans une stra­té­gie diplo­ma­tique : l’hostilité à Hit­ler unit les Occi­den­taux et les Sovié­tiques. Il faut donc rompre ce front com­mun par la mort, et, en dési­gnant des suc­ces­seurs ad hoc, per­mettre la sur­vie de l’Allemagne nazie. Pre­mière lec­ture, poli­tique, évé­ne­men­tielle, contin­gente. Une deuxième lec­ture enri­chit encore l’ouvrage en mon­trant la dimen­sion théo­lo­gique, for­cé­ment, de ce tes­ta­ment qui annonce l’acte de sacri­fice, celui qui scelle l’union entre “Adi et Eva” (Adolph et Eva Braun)… Union du local et de l’universel… Hit­ler pré­voit la dis­pa­ri­tion de son propre corps et les sol­dats trou­ve­ront le Bun­ker vide… Bien sûr, beau­coup ne sui­vront pas Fabrice Bou­thil­lon dans cette lec­ture reli­gieuse et pas­cale de ces der­nières heures, mais ce serait mépri­ser la dimen­sion mys­tique, irrai­son­nable, essen­tielle du régime hit­lé­rien. L’union de la terre, du peuple et de son chef fon­dait le Reich pour mille ans, et le tes­ta­ment s’inscrit dans tout ce pro­ces­sus, fait de convic­tions poli­tiques et d’une conscience très claire des moyens à uti­li­ser pour que ces idées-là soient cla­ri­fiées, dif­fu­sées et déter­mi­nantes. Ce tes­ta­ment est poli­tique, il est donc à prendre au sérieux. Loin de mar­quer la fin du Reich, il est plu­tôt conçu comme un moyen de l’inscrire dans la durée. Il fal­lait que le Bun­ker soit vide, pour que le Reich dure.

En quelques dizaines de pages, (à peine 80), Fabrice Bou­thil­lon par­vient à mul­ti­plier ainsi les niveaux de lec­ture et à y asso­cier sa propre démarche, que l’on retrouve dans cer­tains de ses ouvrages, cher­chant à défi­nir les tota­li­ta­rismes comme des cen­trismes par addi­tion des extrêmes. Cette approche guide l’ensemble de l’ouvrage ; elle s’affirme comme une grille per­ti­nente d’analyse du pro­ces­sus hitlérien.

Ce petit livre nous pré­sente d’abord un texte, in extenso et source essen­tielle du tra­vail his­to­rique puis il nous apprend à lire, en consti­tuant une for­mi­dable leçon d’investigation tex­tuelle. For­mi­dable parce qu’elle est dense et part dans tous les sens. En pre­nant au sérieux ce qui semble déli­rant, et en déli­rant sur ce qui semble simple on sai­sit mieux l’essence du nazisme et on com­prend pour­quoi les bonnes consciences, si rai­son­nable et si mépri­santes à l’égard d’Hitler, ont été ber­nées. On conçoit mieux pour­quoi le mys­tère sub­siste encore sur la séduc­tion qui a opéré sur le peuple alle­mand. Ce n’est pas parce que la menace est au bord du sui­cide, sur la fin ou finie - vor­bei — qu’il faut la mépri­ser. Il faut tou­jours la prendre au sérieux. Le mythe se nour­rit des zones d’ombres, et ce texte res­tait pour nos consciences une zone d’ombre, il fal­lait l’éclairer pour le décons­truire.

camille ara­nyossy

   
 

Fabrice Bou­thil­lon, Et le bun­ker était vide, Edi­tions Her­mann, avril 2007, 96 p. — 16,00 €.

 
     

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