Sélectionnée par le jury de la Carte blanche PMU, la photographe finlandaise Elina Brotherus est exposée au Centre Pompidou et publie un livre aux éditions Filigranes. C’est une nouvelle étape dans son processus de création : après 20 ans d’autoportraits, ses photographies sont prises en charge par un double avec lequel elle joue avec un décalage astucieux pour créer une comédie particulière : « L’art est la seule discipline humaine qui permet aux adultes de continuer à jouer. Non pas pour l’argent, mais pour le plaisir et pour la curiosité » précise celle qui utilise désormais ce qu’elle nomme des « event scores » (partitions d’évènements).
Après son Prix du Musée de l’Elysée de Lausanne, elle cherche ces partitions écrites chez des artistes des années 60 et 70. Ceux de Fluxus, George Brecht, George Maciunas, Mieko Shiomi, Yoko Ono, ou Walter de Maria, élèves de John Cage qui jouèrent avec des signes graphiques et des mots. Elle en a tiré des processus capables de renouveler l’autoportrait et changer de registre grâce à un sosie avec la présence d’une de ses vieilles amies : la danseuse et chorégraphe Vera Nevanlinna qu’elle a retrouvée pour ce travail dont elle a tiré une sélection de photographies et vidéo.
Elle a inventé un « Cadavre exquis » pour faire un poème dadaïste avec son modèle en prenant comme point d’appui une phrase de Merce Cunningham ou le titre d’œuvres de Francesca Woodman ou Marcel Duchamp. Le « Nu descendant un escalier » devient un « Nu montant un escalator » sur l’escalier mécanique extérieur du Centre Pompidou. Quant au livre, il traduit l’esprit ludique et l’humour de la série en offrant une vision décalée sur le jeu. Se retrouvent l’audace, les tourments et l’humour d’accords et de désaccords de méandres au milieu des coupes franches face aux tendances aussi bien naturalistes que lyriques.
Dans de telles images tombent sans bruit les briques du réel. De la masse torturée des images surgit un chant. Il n’a rien de plaintif et glisse vers l’ironie selon un imaginaire particulier d’où émerge une marée motrice et lumière afin de percer le noir et les poches de silence pour atteindre l’alphabet souterrain de ce que cache le sérieux.
Du passé l’artiste ne fait pas table rase mais sans jamais pour autant cultiver la nostalgie. Elina Brotherus sait en faire le deuil mais aussi en apprécier le gain afin de permettre au futur de posséder un sens même lorsque tout ou presque semblait montré. L’œuvre reste pour reprendre un titre célèbre « la possibilité d’une île » dont la représentation se détourne de la représentation en une déflagration assourdie, un déferlement retenu.
Cela suinte et chuinte de manière drôle et douce en sensations. La Finlandaise garde gravité et joie en une quête de l’accession à soi-même et au monde par reprises, virevoltes et ruptures.
jean-paul gavard-perret
Elina Brotherus, Règle du Jeu Carte blanche PMU Elina Brotherus, Galerie des Photographies, Centre Pompidou, du 27 septembre au 22 octobre 2017 et livre aux Editions Filigranes.