Tristan Felix est poétesse, dessinatrice, photographe, marionnettiste (« Le Petit Théâtre des Pendus »). Elle est aussi « conteuse chamanique et clown trash et poétique ». Toutes ses activités ou ses qualités se retrouvent dans ses Aphonismes bien différents de simples aphorismes. La poétesse n’est pas de celles qui estiment encercler le monde au nom d’une simple sentence. Elle est trop intelligente pour cela. Pour séduire l’indicible et percer le visible, à la « Langue Ecarlate » elle préfère un certain « crachat ». Il n’a rien de répugnant mais sa projection fracasse les serments politiques. L’artiste les démolit avant qu’on ne meure de n’avoir pas su en rire.
Pour décoder le monde, elle sait qu’un néo-réaliste ne suffit pas. Sauf à le transformer comme elle le fait en des résurrections poétiques ponctuées chaque fois d’un dessin qui « ajoute une couche » au propos que l’iconoclaste proclame au sein de ses mises en abyme, en déséquilibre et en finesse imprévue voire presque improbable.
Une fois de plus, la poétesse offre ses débords et ses « Farces du Squelette ». Episodes et historiettes sont métamorphosés moins par jeu que par complexité. Viennent s’inscrire un élément de fiction, une image. Cette insertion vise à la fois faire du lieu un espace plastique et à travailler la mémoire, la perturber, et exacerber la symbolique attendue là où une femme est tuée par son mari, où Beckett « jouit » de Joyce. Néanmoins, dans tous les cas l’intime et la facétie sont remplacés par la fable.
Tristan Félix est une des rares créatrices capables de sérieux dans le « fun », et d’humour dans le tragique. Elle montre le monde à l’aune d’une sagesse particulière au sein de théâtres d’ombre. En des comédies où seuls les hommes qu’on dit grands ne sont que des marionnettes.
Cinglante, l’auteure donne avec Aphonismes un corpus corrosif poétique et puissant. Espérons le voir publier à une plus grande échelle. Un tirage de 350 exemplaires n’y suffit pas. Il faut connaître cette langue qui modifie l’Histoire des êtres. Elle fait le tour du monde sans en trouver la clé : mais l’œuvre suit son cours. Les marionnettes cognent sur chaque marche d’un escalier qui s’enfonce sous la ville là où sans doute, Virgile, il y a deux mille ans, situait les Enfer.
jean-paul gavard-perret
Tristan Félix, Aphonismes (textes et dessins), Editions Venus d’Ailleurs, 2017.