Tristan Felix : horror non vacui
Tristan Félix ose la condensation la plus extraordinairement horrible dans la suite des Fétus - premier volet d’ Observatoire des extrémités du vivant. L’auteur a photographié à Maisons-Alfort et au musée Dupuytren 24 monstres avortés et conservés dans le formol. Il n’existe pourtant aucune complaisance dans cette approche des ratés de la nature. Tristan Félix joint à ces images des ponctuations « littéraire ». Les fœtus parlent sans pathos ni angoisse — d’où entre autres le titre modifié du sujet représenté. Le texte devient presque une petite musique douce que de telles « erreurs » n’auront ou n’auraient jamais pu entendre.
Une telle expérience devient celle d’un rapprochement qui nous lie à l’impossibilité comme à la possibilité d’existence et à l’angoisse de ce mouvement. De telles strophes gardent quelque chose de caché mais qui n’en est pas moins visible de telle sorte que nous ne puissions rien ignorer d’erreurs issus des désirs de deux partenaires. Le sinistre jaillit et laisse entrevoir le côté énigmatique et capricieux de la puissance érotique.
Existe de la part de Tristan Félix une obsession lucide et une hantise qui refusent tout refoulement même du pire. Il faut le contempler afin de ne pouvoir oublier ces passés ténébreux, cette réminiscence de l’horreur et de sa démesure. Néanmoins, pour l’atténuer, Observatoire des extrémités du vivant se termine sur un jeu plus respirable quoique satanique puisqu’il est question d’une parade d’anagrammes où se conjuguent les farces et attrapes d’un chat noir nommé Belzébuth.
Avant cette issue de secours, la partie « Livrée des morts » et ses 24 poèmes en prose stérilisent le réalisme en le remplaçant par un imaginaire reptilien ou maritime là où un Faust éméché, bascule, du haut d’une falaise, « dans les bras d’une sirène coupée en deux qu’il n’a pas vue ». Les éclairs poétiques remplacent ceux délétères de la nature par une fantasmagorie.
L’auteur lutte contre des cauchemars tout en les entretenant mais le charme existe par delà les « memento mori » premiers et presque insupportables. Remplacés par la dérive de l’imaginaire, entre égarement, désordre, ordre, chaos, les langages pénètrent dans un autre champ. L’artiste s’introduit en Satan, face à Dieu qui fait parfois si mal les choses. Au supplice de l’incompossible succèdent d’autres dérèglements de situations. L’œuvre s’y recompose peu à peu en abordant un lieu où l’erreur est transcendée par l’écriture visuelle et poétique. Elle ne dissimule rien de la pathologie.
Mais fait place la contradiction générée d’une éclosion plus générique et souveraine. Elle ne peut que troubler par sa puissance et son absence d’omission. La gravité et mouvement du corpus atteint une telle force rare. Il faut peut-être remonter à Lautréamont pour retrouver un travail qui –comme disait l’auteur de Maldoror — « pénètre comme un clou de forge ».
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jean-paul gavard-perret
Tristan Felix, Observatoire des extrémités du vivant — Triptyque, Editions Tindbad, 2017 — 20,00 €.
jean-paul gavard-perret a-t-un lien de parenté avec jean gavard jeune grand résistant dès 1940? bien à vous et merci pour cet article