Ce livre repose sur une démarche simple et pertinente ; il mérite d’être diffusé le plus largement possible
Quels intérêts peut-il y avoir à étudier dans le cadre d’un département français comme la Sarthe la politique de discrimination et d’extermination conçue par les nazis ? La Sarthe n’a pas été le département le plus touché. La communauté juive — si cette expression peut avoir un sens — n’y a jamais été très importante. Rien de particulier ni d’exceptionnel en Sarthe, et pourtant… Si la question se pose d’emblée à la lecture du titre, les réponses paraissent évidentes une fois l’ouvrage lu tant il est court, synthétique, et original. Il a plus d’un tour dans son sac et montre que l’on peut partir de la Sarthe pour mieux comprendre des phénomènes qui ont bouleversé l’Europe et le monde.
Son intérêt est d’articuler trois approches complémentaires, qui s’appuient sur deux objets d’étude. Il met en rapport une population marquée par une identité plus ou moins affirmée, revendiquée ou subie et un département, c’est-à-dire une entité administrative, gérée par un préfet, aussi bien relais du pouvoir qu’autorité locale. Ces deux objets s’insèrent dans des réseaux, des influences et des logiques externes et internes dans un contexte très tendu marqué par la guerre et l’occupation.
La démarche choisie par Karine Macarez est simple et pertinente : elle a centré son étude sur la formation et l’évolution de la communauté juive sarthoise. Pour comprendre d’abord sa formation, l’auteur a interrogé aussi bien les sources antisémites de la fin du XIXe que les archives des institutions juives. On comprend vite combien ce terme de “communauté” est complexe, polysémique, presque un piège dans lequel Karine Macarez ne tombe pas car elle évite toute réponse catégorique et reste toujours attachée à la nuance. À la fin du XIXe siècle, impossible de dire qu’il existait une véritable communauté juive en Sarthe. La population juive va s’étoffer dans le premier quart du XXe siècle avec les immigrants d’Europe de l’Est. Cette phase de l’étude permet ainsi d’analyser les phénomènes d’intégration en France, thème on ne peut plus d’actualité. Or c’est cette population d’origine étrangère qui a donné les cadres et les structures d’une communauté juive en Sarthe. Et c’est elle qui va souffrir le plus durant les années d’occupation et de collaboration, car sur elle vont s’opérer, de manière implacable, les politiques xénophobes et antisémites de la France de Vichy. La Shoah a progressivement détruit, et ce de manière durable, les cadres et structures communautaires juives du département.
Le processus est décortiqué, analysé avec soin, dans son caractère progressif. Recensement d’abord, aryanisation ensuite — c’est-à-dire exclusion économique. Suivent alors la spoliation, l’isolement, le regroupement puis la déportation. Sur soixante-seize mille juifs qui furent déportés de France, trois cent soixante-deux étaient sarthois. Les documents cités sont nombreux et variés, le livre comporte un dossier documentaire riche et cohérent ; des lettres, témoignages et rapports de police sont cités et présentés, faisant ainsi mieux ressortir la grande variété des tragédies individuelles et collectives. Mais aucune idéologie ni discours de morale ne viennent brouiller les pistes, au contraire, l’objectif est clair : il s’agit de décrire pour comprendre. Chacun des événements, chacune des étapes du processus sont ainsi inscrits dans une double perspective : dans leur contexte, et dans le cadre théorique. Tous les grands chantiers historiques accomplis ou en cours (comme ceux de Raoul Hilberg ou de la fondation Matteoli par exemple) et les grands concepts (tel celui de “syndrome de Vichy”, formulé par Henry Rousso) sont présentés et exploités afin de mieux situer les événements de Sarthe. On regrette cependant l’absence de notes de bas de page qui auraient pu renvoyer plus précisément encore aux ouvrages et aux documents annexés.
Au cœur de ce mémoire, à la croisée des archives pourrait-on dire, on trouve ces questions essentielles : quelle était la marge de manœuvre des individus dans le cadre de ce terrible système administratif, injuste et brutal ? Quelle était précisément la responsabilité de l’administration ? Car les préfectures, les mairies et les commissariats de police ont en effet joué un rôle clé dans l’organisation de la Shoah dans les départements français. Et le questionnement des archives, parfaitement mené par Karine Macarez, lui permet de faire ressortir toute la difficulté d’évaluer de manière nette et tranchée le caractère réel de la collaboration de l’administration. Des préfets et sous-préfets dont les carrières sont décrites et finement analysées furent à l’évidence plus zélés que d’autres, ceux du Maine-et-Loire l’ont été par exemple bien davantage que que ceux de la Sarthe. Mais comment évaluer l’engagement de ces fonctionnaires et faire la part exacte entre obéissance, soumission, zèle par conviction idéologique ou par souci carriériste ? Lorsqu’on touche ainsi du doigt le flou moral du réel, la critique s’impose et on grandit, on apprend. Dans un tel système, ceux qui résistent et refusent ressortent avec plus de relief, comme cette Mme Houssin du village de Cérans-Foulletourte, capable de faire tourner en bourrique toute l’administration, de la mairie à la préfecture, concernant la déclaration des enfants juifs parisiens qu’elle héberge.
Lorsqu’un mémoire de maîtrise parvient, en prenant un département comme la Sarthe pour champ d’investigation, à présenter les grands axes de la recherche historique et à contribuer modestement mais certainement à la compréhension d’un phénomène aussi complexe que celui de la Shoah, alors il mérite d’être publié, lu, connu, cité, et diffusé le plus largement possible.
camille aranyossy
Karine Macarez, Shoah en Sarthe, éditions Cheminements, Le Coudray-Macouard, septembre 2006, 148 p. — 18,00 €. |
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Bonjour,
J’aimerais avoir des renseignements sur un assassinat d’un Maire de la Chapelle Huon en 1944. Il s’agit de Monsieur Mulot. Pourriez-vous m’éclairer ?
Cordialement.