Après avoir tenter de tuer tout dogmatisme en le théorisant, Ben Lerner poursuit son déblayage littéraire en disant leur fait aux poètes quelle qu’en soit l’engeance. Parnassiens ou de la rue ; Keats ou Dickinson, tous en prennent pour leur grade sauf le « pire poète de l’histoire » : Topaz Mc Gonaggall. Dans ce cas, l’obligation de faire confiance à l’auteur est totale : nous ignorons tout de ce maître du ratage.
Héritier de Beckett, Lerner souligne que la poésie n’est – au mieux – que le produit d’une fabrication rhétorique venue pour illustrer ce qui a été déjà perçu et pensé par ailleurs ou pour caler un cas particulier de l’usage établi du signe linguistique et de son fonctionnement utilitaire. Pas de quoi s’estimer inspiré des cieux. Le titre de poète est donc souvent abusif. Quant au poème, « il finit par désigner cette possibilité dont on ressent l’absence » dans ses lignes.
En croyant atteindre l’absolu, les poètes concoctent des figures par effet d’analogie, voire de mimésis. Au mieux, la poésie est “la meilleure formulation possible d’une réalité absente” et qui ne trouve pas plus d’assise dans le poème qu’elle n’en possédait auparavant. Pour ce qui est de l’énigme, de l’être et l’image “phénomène d’être”, il convient d’aller voir et se faire voir ailleurs.
Ben Lerner s’amuse moins à brouiller les pistes qu’à river le clou à une propension poétique imbue d’elle-même et de ses pouvoirs créateurs. N’existe là qu’un « Cap au pire » (Beckett). Nous sommes donc bien loin de ce qu’affirmait Saint John Perse dans son discours de Stockholm. Pour lui, la poésie est : “mode de vie et de vie intégrale”. Selon Lerner, nous en sommes loin : le poème est sans qualité en errant entre l’image et le concept dans ce qui tient d’un no man’s land scripturographique.
jean-paul gavard-perret
Ben Lerner, La haine de la poésie, traduit de l’anglais (US) par Violaine Huisman, Editions Allia, 2017, 96 p. — 9,00 €.