Marge de l’être avant la grande marée
L’auteur évoque un paysage qu’il connaît bien : sans bords et où la main de l’eau se pose sur les choses. De tels lieux divisent la lumière comme une menace de clarté plus rouge. Existe un dialogue du tellurique et de l’océan et son sel dans la confusion des marées. Mais si tout garde un ordre dans leur mouvement, la mort happe vers le fond.
Parfois, il semble que la terre seule garde ses défunts et que la mer n’existe pas. Parfois, c’est le contraire. Et dans la marge d’eau, de rocher et d’air se crée l’espace changeant des perdants que nous sommes. Car peu à peu « s’élaguent les enfances. s’enlèvent les embâcles, les herbes coupées ». L’être a beau « ouvrir les clapets, renforcer les berges, les digues de l’oubli, le clair unique au-dessus de ses gouffres », rien n’y fait.
Flux et reflux frappent le poème là où l’homme sent qu’il n’est plus que fatigue, et qu’il expire à petit feu comme si seule la houle pouvait cambrer ses reins par les muscles des mots. A cette aune et malgré eux, nous sommes des illettrés aux os trempés et aux « corps pris dans leur absence de rive ». D’une certaine manière, la mer est juste une illusion, la terre n’existe pas. Ne demeure que le réalité d’une surface où un oiseau se pose parfois, où l’on mourra et où le vide s’amarre à la matière.
Si bien que le livre devient un chant du départ. Nous perdons pieds entre ses pages là où les brisants du mystère vital traquent, attirent et à la fin éloignent. Quand au bec de l’oiseau qui s’est un temps reposé, il biffe la terre et signe les vagues. Ce qui n’empêche en rien les marins d’eau douce ou salée que nous sommes — et avant la traversée finale — de s’amarrer un temps au « suspens » que ce paysage éclaté « image ».
jean-paul gavard-perret
Erwann Rougé, Le perdant, vignette de Loïc Le Groumellec, Editions Unes, Nice, 2017, 48 p. — 15,00 €.