Cette copieuse biographie de Baudelaire paraît à l’occasion du 150ème anniversaire de sa mort. Elle offre un équilibre appréciable entre l’histoire d’une vie et celle d’une œuvre, qui sont entrelacées avec aisance, sans pédanterie, et rédigées dans un style élégant qui s’émaille tout naturellement d’expressions fleurant bon le XIXe siècle.
Les amateurs de Baudelaire qui ne connaissent de sa vie que le minimum de données figurant dans les éditions de poche auront maintes surprises au fil des pages. L’une d’entre elles concerne l’enfance du poète, qui apparaît comme bien moins malheureuse qu’on ne l’aurait imaginée. De fait, les lettres du jeune Charles révèlent un naturel enjoué et un attachement très affectueux non seulement pour sa mère, mais aussi pour son demi-frère et pour son beau-père, le fameux Aupick qu’on est habitué à voir comme l’éternel objet de la haine du poète.
Une lettre adressée à Alphonse Baudelaire, du temps où Charles avait dix ans et demi, permet de bien se représenter le garçon espiègle, remuant (“moi qui suis toujours en mouvement, toujours sur un pied ou sur l’autre“) et peu porté à se plaindre (“Bientôt je redevins gai comme à l’ordinaire.“, p. 38). Cette missive témoigne aussi d’un talent épistolaire et d’une maîtrise de l’expression écrite que nombre d’adultes auraient pu envier à l’écolier.
Par ailleurs, si le futur poète ne brille pas toujours au collège, et si ses parents l’encouragent à travailler davantage, ils n’en sont pas moins certains qu’il a toutes les qualités : c’est un garçon “bon et sensible au dernier point, très aimant“ (Mme Aupick) et qui “contribuera à [leur] bonheur à venir“ (M. Aupick, p. 48).
Les choses se gâtent seulement à l’étape où Charles a déjà dix-sept ans, et ne font qu’empirer par la suite. Marie Christine Natta s’abstient prudemment d’échafauder des explications psychologiques, et on lui en sait gré : les documents qu’elle nous fournit permettent à chaque lecteur de trouver l’explication qui lui semblerait le plus crédible pour la manière dont le jeune Charles passe du souci de donner satisfaction à la révolte et à l’extravagance la plus prononcée.
Il s’ensuit des années d’attitudes autodestructrices (impliquant aussi une tentative de suicide), où le poète parvient malgré tout non seulement à faire une œuvre, mais aussi – c’est cela qui paraît le plus étonnant – à s’attirer une reconnaissance littéraire qui précède de loin la publication des Fleurs du mal, et des amitiés indéfectibles, quand bien même il est un ami des moins enviables qui soient.
L’un des nombreux mérites de l’ouvrage, c’est de faire ressortir le personnage de l’éditeur Poulet-Malassis, prodigieusement attaché à Baudelaire malgré une série d’avanies, et faisant passer l’intérêt du poète et de son œuvre avant le sien propre, lorsqu’il s’agit de l’aider après son attaque cérébrale ou de le rééditer dans les meilleures conditions possibles. La biographie est parsemée d’autres portraits de contemporains, tous bien documentés et savoureux.
agathe de lastyns
Marie-Christine Natta, Baudelaire, Perrin, août 2017, 896 p. – 28,00 €.