Si la barbarie a évolué et changé de visage avec un capitalisme monstrueux qui, sous couvert de démocratie, rend esclaves des populations entières, elle reste cependant très active dans sa forme la plus brutale.
Pour son premier roman, Lionel Fintoni prend pour décors ces zones abandonnées aux pires avanies et plante son intrigue dans ces populations soumises à des vagues migratoires. Dans un pays qui n’a plus les moyens de leur proposer une intégration correcte, ils se laissent emporter dans les filets de la petite délinquance. Parallèlement, il décrit des individus qui profitent des lacunes et des carences d’un système et qui rejoignent volontairement les voies de la criminalité.
Dans les quartiers nord de Paris, le communautarisme fleurit et règne en maître que ce soit pour des populations nouvellement arrivées ou pour des groupes ethniques bien installés. Que ce soient les Rom, les Gitans, les Arabes, les populations nomades des pays de l’est, les immigrés clandestins, les migrants africains, les Russes… tous tentent de survivre et certains s’engraissent dans des affaires illégales, crapuleuses, criminelles. Ils sont en contact, en affaires, en lutte, en guerre pour la défense de leurs trafics, pour étendre leurs territoires, leur zone d’influence…
Deux enfants Rom chargés de butin (la journée fut bonne), sont attaqués dans le passage sombre qu’ils doivent traverser pour rejoindre leur clan. Le garçon est tué et la fille de quatorze ans est enlevée.
Kamel Mahoudi et son fils Malik ont une affaire prospère construite à force de travail. Il rend des services, prête de l’argent, fait crédit, mais demande des “petites” contreparties. Un de leurs conducteurs, Mohamed, qui se fait appeler Johnny, est en lien avec des Comoriens qui posent des problèmes.
Sammy, photographe à l’agence PhotoPro, pour ne pas perdre son travail, s’engage à faire un reportage sur les mafias des pays de l’est autour de Paris, les Russes et les autres…
Aïcha al Makloum Bint Zaïd vient de Dubaï dans la clinique du Dr Bellefond, à Saint-Cloud, retrouver sa virginité en vue de son proche mariage. Elle est là, aussi, pour sa sœur qui a besoin d’une greffe de reins.
Alain Dormeil, bien cabossé par la vie tant personnelle que professionnelle, rencontre Didier à sa demande. Ce dernier, médecin, se consacre au quart-monde périurbain. Il veut que son ami intervienne pour retrouver ces enfants de Rom, de Gitans qui disparaissent.
Dimitri ne veut pas reprendre le garage paternel. Il est le chauffeur du sénateur Jacques Callerai. Avec Malik, ils sont en affaire avec un Russe, exigeant mais qui paie bien.
Aïcha, qui prend le thé dans le salon de la clinique, voit arriver une dame qui porte quelques pansements au visage. Elle se présente comme Isabelle Callerai, patiente et associée du Dr Bellefond. Johnny, qui avait pris une autostoppeuse est retrouvé égorgé. Alain Dormeil accepte de mener, hors de sa hiérarchie, une enquête qu’il sait source de tous les dangers. Mais n’a-t-il pas fait un deal avec la mort…
Le romancier compose une galerie de protagonistes riche en nombre et en portraits, tant physiques que psychologiques, d’une grande cohérence et d’une belle authenticité. Entre les différentes composantes de son théâtre, il tisse des liens violents, cruels. Cependant, l’auteur ne fait pas dans la dichotomie avec une frontière marquée entre les tenants du mal et ceux du bien. Il fait de chaque personnage un Hermès aux multiples visages, aux multiples attitudes et motivations.
Il fait preuve d’une belle connaissance de l’être humain, de ses fractures avec des réflexions comme : “Depuis, il portait ce remords, enfoui quelque part dans ces méandres obscurs où chaque individu garde sa part de petitesse, de choses qu’il préférerait oublier, de souvenirs qui mettent mal à l’aise, de lâchetés jamais assumées, de paroles qu’il n’aurait jamais fallu prononcer, de gestes qu’il aurait fallu tenter.”
Flotte également dans ce livre une atmosphère d’accablement, une ambiance de lassitude illustrée, par exemple, par les rapports entre Alain et Didier : “Ils avaient noué une sorte de complicité construite sur la constatation mutuelle de l’inutilité de leurs actions.” Le rythme est rapide et les changements de points de vue, de personnages donnent un tempo et génèrent une tension palpable à ce récit servi par une belle et tonique écriture.
Il ne faut jamais faire le mal à demi, “maxime” empruntée à Machiavel, est un roman noir, très noir qui s’inscrit dans un contexte très actuel. Lionel Fintoni signe un superbe livre dur, âpre, désespérant parfois mais ouvert sur de belles fenêtres humanistes. Un auteur à découvrir sans délai, un auteur à suivre !
serge perraud
Lionel Fintoni, Il ne faut jamais faire le mal à demi, l’aube, editions de l’Aube, coll. “Noire”, août 2017, 344 p. – 19,90 €.