Quand le voyeurisme se révèle dangereux, très dangereux…
On ne peut s’empêcher de penser, à lire la quatrième de couverture ici, à Fenêtre sur cour du trop fameux Alfred Hitchcock. Le romancier lui-même ne sème-t-il pas des indices dans ce sens ? Son héroïne a fait des études de cinéma, veut, ou plutôt, voulait écrire un essai sur Hitchcock.
Lily Gullick travaille dans un magasin de location de vidéos. Elle habite dans le Nord de Londres, dans ces quartiers en restauration où les promoteurs repoussent les habitants aux revenus modestes pour laisser place à une classe sociale plus argentée. Son mari, Aiden, est de plus en plus distant. Attirée par l’ornithologie, elle dispose toujours, près d’elle, d’une paire de jumelles. Elle peut à loisir observer les oiseaux et… ses voisins. Peu à peu, elle se délecte du voyeurisme, imagine une vie, un nom pour ceux qu’elle observe.
Incidemment, elle fait la connaissance de Jean Taylor, une des dernières occupantes d’un immeuble à démolir, qui résiste à l’éviction. Le lendemain, son attention est attirée par un attroupement vers l’appartement de Jean. Elle s’y rend, fait état de sa fausse identité de médecin pour s’introduire dans les lieux et découvre la vielle dame morte. Elle observe des changements dans le logement depuis la veille. Dans la nuit, Jean avait essayé d’appeler Lily. Son portable, disparu est retrouvé chez des junkies qui squattent un immeuble voisin. Jean a-t-elle été assassinée ? Lily décide de mener son enquête…
Ross Armstrong dépeint une certaine catégorie sociale, celle qui s’est laissé prendre à un mirage, qui s’est engouffrée dans une voie où l’espérance de réussite semblait forte, venir à la Capitale pour briller et se confronter à Londres : “…avec ses opportunités de carrière de plus en plus rares et ses exigences économiques.” Déçue, amère, l’héroïne cherche des dérivatifs à la monotonie de sa vie… en imaginant, d’après ce qu’elle observe, la vie des autres. Mais à espionner ainsi, elle n’est sans doute pas la seule. Et qui regarde celle qui regarde surtout lorsque celle-ci va se mettre en lumière ?
Le romancier concocte une intrigue sombre, génère une tension forte et joue sur la dangerosité d’un jeu du chat et de la souris. Il décrit une ambiance tendue, multipliant les rebondissements, les surprises. L’auteur joue avec une habilité précieuse de tous les éléments créant un malaise, avec cette fascination d’observer les autres, cette addiction au voyeurisme. Il donne à son héroïne un profil psychologique fouillé, profond, mélange d’innocence et de rouerie.
Le style et la forme du livre sont originaux, presque déroutants dans la façon dont Lily raconte. On a le sentiment qu’elle s’adresse à une personne, lui fait le récit de ses actions. De plus, des annotions abrégées en tête de chaque chapitre renforce cette étrangeté. L’héroïne est accompagnée d’une galerie de protagonistes intriguant mais réalistes.
Sous ses yeux se lit avec passion pour connaître les tenants et la conclusion d’une enquête peu commune.
serge perraud
Ross Armstrong, Sous ses yeux (The Watcher), traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau, cherche midi, coll. “Thriller”, août 2017, 400 p. – 22,00 €.