Patrick Morier-Genoud a une faiblesse prononcée pour les tentations féminines. Son blog Lubric à Brac le prouve. Et face à une poulette, il est rare qu’il reste les mains dans les poches et de marbre. Mais il a aussi une tendresse pour les écorchés de la vie tout en se refusant de sombrer dans le pathos. L’alcool le remplace en proposant des plongeons plus roboratifs. Il lave l’estomac avec du rouge qui, même s’il tache, n’a rien du mercurochrome.
Adeptes des transports amoureux , Morier-Genoud prend les lignes de la CFF pour rejoindre les bars à bière où tel un Barrabas il reste adepte des mises à petite mort quitte à se salir les mains en de si basses besognes. Et ce n’est pas parce qu’on meurt rarement dans les cimetières qu’il en fait ses quatre heures, il préfère les cinq à sept qui durent des heures. Le culte lunaire fait de lui un astronome d’un genre particulier. Ses livres en témoignent.
Patrick Morier-Genoud, Culs par-dessus têtes, gravures de Erik K, Editions Humus, Lausanne, 2017.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’excitation d’un nouveau jour à expérimenter.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Certains se sont réalisés : écrire des livres, voir des femmes nues, me faire tatouer, ne plus aller à l’école, aller en Afrique, parler d’autres langues, boire des alcools forts en fumant des cigarettes dans des bars interlopes… D’autres ne le seront jamais : faire partie de la bande des Pieds Nickelés, m’engager dans la légion étrangère… D’autres pourraient encore se réaliser : être clochard, voyager dans le temps.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’essaie avec persévérance de petit à petit renoncer à mon égo.
D’où venez-vous ?
De chez les pauvres, des quartiers populaires lausannois.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La confiance en moi, la méfiance envers les riches.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
La masturbation.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Ça dépend desquels. Ce qui me distingue de beaucoup d’entre eux, c’est de ne pas me prendre trop au sérieux.
Comment définiriez-vous votre approche de la sexualité en littérature ?
Nommer les choses, les mettre en perspective, relever que la misère sexuelle n’est qu’une composante de la misère tout court, aborder le sexe comme une exploration amorale. Et rire, parce que j’aime l’humour qu’il y a dans le sexe.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
De la lingerie féminine dans un catalogue de vente par correspondance.
Et votre première lecture ?
Les Pieds Nickelés et Bibi Fricotin.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Ça dépend des jours. Les Clash, de la musique militaire, de la disco balkanique, de la musique africaine, de la variété italienne, de la country, des chants révolutionnaires… Beaucoup Léonard Cohen.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Tous ceux de Manchette.
Quel film vous fait pleurer ?
Plus que des films, ce sont des scènes qui me font pleurer : celles où une empathie inattendue ou improbable s’exprime.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Parfois mon père, parfois ma mère, le plus souvent moi-même.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A personne.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Diên Biên Phu.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
De tous ceux qui s’opposent. Il y en a très peu. En Suisse, par exemple, la plupart des artistes sont des fonctionnaires vivant de subventions.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une invitation pour une grande partouze agrémentée de drogues récréatives.
Que défendez-vous ?
Le libre arbitre, l’incertitude, l’expérimentation.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Que Lacan était un frimeur. Que l’amour est une névrose.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
J’aime l’idée de ne refuser aucune expérience. Mais j’aime aussi dire non à celles et ceux qui veulent me crétiniser.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Ma mère vous aurait répondu : «Si vous avez oublié de la poser, c’est qu’elle n’avait pas d’importance…»
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 9 septembre 2017.
Un bon vivant .