La fracture de l’humanité par elle-même
De belles paroles empreintes de ferveur sont déclamées sur un bruit d’orage. Il pourrait s’agir d’un naufrage, dont le thème est présenté de façon métaphorique à travers un ébranlement général. Un drame se détermine ; c’est la guerre, sous la forme d’un bombardement qui chasse ces enfants (pré-ados dirions-nous) prenant le large pour fuir le chaos. La vie semble se briser dans une version païenne de l’apocalypse.
Le propos n’est pourtant pas attaché à leur détresse physique de réfugiés : ce qui est interrogé, ce sont leurs passions humaines, à l’épreuve d’une cohabitation exsangue, baroque, un peu stéréotypée. D’abord rendus confiants par leurs convictions religieuses, ils seront par celles-là même exposés aux pires avatars. Les divergences qui naissent de l’épreuve, de la promiscuité, de l’urgence et de la vulnérabilité sont génériques, comme hors du temps. A chaud et à vif peut se tisser le drame de la fracture de l’humanité par elle-même. La présupposition théologique des personnages les soumet à une insinuation de culpabilité qui finira par les miner. En chacun les signes de l’altération de la terreur se manifestent insidieusement.
Thomas Jolly effectue avec brio l’exercice (il s’agit d’un spectacle de fin d’études) en soulignant toutes les résonances du texte de Georg Kaiser. Un requiem, en forme d’épilogue cruelle, comme une fable de l’humanité quotidienne, ramenée à petite échelle. La parole de l’enfance, celle de l’ouverture, est irrémédiablement bafouée.
La représentation est dynamique et cohérente, bien qu’elle laisse douter de son efficacité dramaturgique ; elle essaie de varier les registres, mais le propos s’épuise de solennité. C’est qu’elle est confinée dans une scénographie finalement monolithique, dont le texte intéressant et le jeu honorable de la troupe ne parviennent pas à l’extirper. L’ensemble reste d’un baroque indécidable : une parabole ambitieuse mais kitsch, surréaliste mais moraliste.
christophe giolito
Le radeau de la méduse
de Georg Kaiser
mise en scène Thomas Jolly
avec
Youssouf Abi-Ayad, Éléonore Auzou-Connes, Clément Barthelet, Romain Darrieu, Rémi Fortin, Johanna Hess, Emma Liégeois, Thalia Otmanetelba, Romain Pageard, Maud Pougeoise, Blanche Ripoche, Adrien Serre
Traduction de l’allemand Huguette et René Radrizzani (éditions Fourbis, 1997) ; scénographie
Heidi Folliet, Cecilia Galli ; construction Heidi Folliet, Cecilia Galli, Léa Gabdois-Lamer, Marie Bonnemaison et Julie Roëls ; costumes, maquillage et coiffures Oria Steenkiste ; accessoires Léa Gabdois-Lamer ; lumière Laurence Magnée ; vidéo et effets spéciaux Sébastien Lemarchand ; composition musicale Clément Mirguet.
Au théâtre de l’Odéon (Ateliers Berthier – 75017) du 15 au 30 juin 2017, du mardi au samedi 20h, dimanche 15h.
Production La Piccola Familia ; coproduction Théâtre National de Strasbourg ; avec la participation artistique du Jeune Théâtre National ; avec le soutien de l’ODIA Normandie / Office de Diffusion et d’Information Artistique de Normandie Thomas Jolly est artiste associé au Théâtre National de Strasbourg. La Piccola Familia est conventionnée par la DRAC Normandie, la Région Normandie et la ville de Rouen. Spectacle créé le 17 juillet 2016 au Festival d’Avignon.