Michèle Audin, Comme une rivière bleue — Rentrée 2017

De la rivière au fleuve

Quit­tant le tout-venant du roman fran­çais à Clo­se­rie de lilas ou de roses et les rêvas­se­ries de bobos en maux sen­ti­men­taux à deux balles, Michèle Audin ren­voie sinon aux calendes grecques du moins à ce qui peut en tenir lieu dans sa fresque his­to­rique sur la Com­mune de Paris. Il est vrai que Michèle Audin est une auteure aty­pique : pro­fes­seur à l’Institut de Recherche Mathé­ma­tique Avan­cée de Stras­bourg, elle est entre autres spé­cia­liste de la géo­mé­trie sym­plec­tique mais aussi membre de l’Oulipo.
Son back­ground (elle est la fille du mathé­ma­ti­cien Michel Audin pro­ba­ble­ment exé­cuté par Massu en Algé­rie) peut expli­quer en par­tie le choix de l’époque et du lieu de son roman. Celui-ci porte l’accent non sur l’historicité offi­cielle de l’évènement mais sur les pro­ta­go­nistes de la rue. L’auteure fait par­cou­rir les quar­tiers popu­laires auprès des ano­nymes par­fois mani­pu­lés avant de s’enivrer du rêve de trans­for­mer leur et le monde.

Michèle Audin sait tra­duire les aspi­ra­tions des Com­mu­nards : leur croyance est ponc­tuée par la des­crip­tion des fau­bourgs. De la rive droite en sur­chauffe la focale passe pro­gres­si­ve­ment vers les lieux du pou­voir de l’autre rive. Auprès des héros du livre (Emi­lie Lebeau, Charles Lon­guet, etc.) appa­raissent ça et là les grandes figures de ce moment d’exception super­be­ment raté : Jules Val­lès, Louise Michel, Edouard Vaillant. Cha­cun y va de ses espé­rances : cer­taines paraissent évi­dentes aujourd’hui et sont deve­nues réa­li­tés. Mais il fal­lut attendre.
Certes, dans « le mur­mure de cette révo­lu­tion qui passe tran­quille et belle comme une rivière bleu» cer­tains pro­jets prouvent que la Com­mune était ipso facto vouée à sa perte. Mais la roman­cière sait mettre en exergue autant les idées que les hommes, le rôle des ouvriers comme celui des Francs-maçons, le moment lyrique, fra­ter­nel, paroxys­mique comme les cailloux dans les sabots des « mar­cheurs » de l’époque. La créa­trice est par­fois empor­tée par son sujet, son zoom foca­lisé sur un seul pan dés­équi­libre la pré­ci­sion historique.

Reste néan­moins une belle his­toire de l’Histoire. Elle finit comme on sait. Mais le grand mérite de l’auteur est de savoir des­si­ner des per­sonnes plus que des per­son­nages à des­tin en igno­rant « les gens » — ce mot mépri­sable dont Mélen­chon se veut l’histrion. On voit dans le livre l’abîme qui sépare Val­lès et les autres du hâbleur postmoderne.

jean-paul gavard-perret

Michèle Audin, Comme une rivière bleue, Gal­li­mard, 2017, 391 p. — 20,00 €.

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