Quittant le tout-venant du roman français à Closerie de lilas ou de roses et les rêvasseries de bobos en maux sentimentaux à deux balles, Michèle Audin renvoie sinon aux calendes grecques du moins à ce qui peut en tenir lieu dans sa fresque historique sur la Commune de Paris. Il est vrai que Michèle Audin est une auteure atypique : professeur à l’Institut de Recherche Mathématique Avancée de Strasbourg, elle est entre autres spécialiste de la géométrie symplectique mais aussi membre de l’Oulipo.
Son background (elle est la fille du mathématicien Michel Audin probablement exécuté par Massu en Algérie) peut expliquer en partie le choix de l’époque et du lieu de son roman. Celui-ci porte l’accent non sur l’historicité officielle de l’évènement mais sur les protagonistes de la rue. L’auteure fait parcourir les quartiers populaires auprès des anonymes parfois manipulés avant de s’enivrer du rêve de transformer leur et le monde.
Michèle Audin sait traduire les aspirations des Communards : leur croyance est ponctuée par la description des faubourgs. De la rive droite en surchauffe la focale passe progressivement vers les lieux du pouvoir de l’autre rive. Auprès des héros du livre (Emilie Lebeau, Charles Longuet, etc.) apparaissent ça et là les grandes figures de ce moment d’exception superbement raté : Jules Vallès, Louise Michel, Edouard Vaillant. Chacun y va de ses espérances : certaines paraissent évidentes aujourd’hui et sont devenues réalités. Mais il fallut attendre.
Certes, dans « le murmure de cette révolution qui passe tranquille et belle comme une rivière bleu» certains projets prouvent que la Commune était ipso facto vouée à sa perte. Mais la romancière sait mettre en exergue autant les idées que les hommes, le rôle des ouvriers comme celui des Francs-maçons, le moment lyrique, fraternel, paroxysmique comme les cailloux dans les sabots des « marcheurs » de l’époque. La créatrice est parfois emportée par son sujet, son zoom focalisé sur un seul pan déséquilibre la précision historique.
Reste néanmoins une belle histoire de l’Histoire. Elle finit comme on sait. Mais le grand mérite de l’auteur est de savoir dessiner des personnes plus que des personnages à destin en ignorant « les gens » — ce mot méprisable dont Mélenchon se veut l’histrion. On voit dans le livre l’abîme qui sépare Vallès et les autres du hâbleur postmoderne.
jean-paul gavard-perret
Michèle Audin, Comme une rivière bleue, Gallimard, 2017, 391 p. — 20,00 €.