Les valeurs différentes d’autres sociétés
Avec cette nouvelle aventure maritime Jean-Charles Kraehn entraîne son héros dans de sombres, très sombres trafics. S’il est déjà scandalisé qu’on se serve de lui et de son bateau pour transporter illégalement des armes, Yann Calec n’est pas au bout de ses tourments. Cette histoire, qui se déroule en mer Rouge dans les années 1950, s’appuie sur une riche documentation et des faits, hélas !, authentiques. Les trafics existent depuis qu’il y a des bateaux…
Et le trafic d’esclaves remonte à la nuit des temps de l‘humanité. Qu’il se pratique toujours à grande échelle dans une période aussi proche de la nôtre choque. Cependant, le scénariste veut éviter les caricatures présentant des individus qui ne sont pas obligatoirement monstrueux. Il fait dire à l’un d’eux : “Le bien, le mal, c’est l’affaire d’époque ou de lieu.”
À bord du Pierrick, qui remonte la côte orientale de l’Afrique, la température avoisine en permanence les 40° C. Aussi, la brise qui se lève est la bienvenue. Mais elle annonce une tempête et celle-ci sera plus forte que prévue. Yann se rend vers Roxanna et Inès, son épouse et sa fille qui sont du voyage. Cette dernière se plaint que le bateau bouge trop pour jouer aux petits chevaux. Une énorme vague les projette contre la cloison. Yann, à la barre, lutte contre la tempête quand le Second le demande dans la cale. Deux caisses éventrées, parce que mal arrimées, laissent voir parmi les conserves de fruits… des armes.
Le beau temps revenu, avec son équipe de commandement, ils décident de cacher les armes avant d’arriver à Djibouti et de négocier avec les trafiquants. Cependant, le seul passager, embarqué au Cap comme la cargaison, ne risque-t-il pas de poser problème lorsque le cargo va se dérouter ? Ce que Yann et ses hommes n‘avaient pas prévu, c’est l’enlèvement d’Inès par les trafiquants…
Avec Avis de tempête, le scénariste une fois encore bouscule son héros, lui faisant vivre une terrible tempête sur mer, une autre dans sa conception du monde et de l’honneur et une dernière dans son couple. Comme à l’accoutumée, il nourrit son récit d’un flot d’informations, renseignements sur la navigation, les lieux visités, les modes de vie et les sociétés, leurs fondements et leurs principes surtout s’ils diffèrent du modèle occidental. La série, commencée il y a 24 ans autorise une évolution du héros, suivant celle vécue par le scénariste.
Le graphisme se partage entre Patrick Jusseaume, le dessinateur attitré de la série, qui assure les trente premières planches. Jean-Charles Kraehn a dû prendre le relais suite aux soucis de santé de Patrick Jusseaume. Le style diffère quelque peu, mais on retrouve le même dynamisme, le souci du détail authentique. Si le dessin réaliste, imprégné de ligne claire, est l’apanage du premier, le second reste dans le même niveau de qualité graphique.
Parce qu’en tant que lecteur, Kraehn n’a plus la patience d’attendre des suites, il abandonne les cycles pour ne proposer que des histoires complètes à chaque album, plus ramassées, plus denses. Et celle-ci est superbe avec une intrigue fort bien construite, menée de main de maître. Avec Avis de tempête, cette onzième aventure de Yann, les auteurs offrent un récit captivant et riche émotionnellement.
serge perraud
Jean-Charles Kraehn (scénario), Patrick Jusseaume & Jean-Charles Kraehn (dessin), Patrick Jusseaume & Patricia Jambers (couleurs), Tramp — t.1 1 : “Avis de tempête”, Dargaud, août 2017, 64 p. – 13,99 €.