Celle qui graffe son mur sur Facebook en inventant le SmartMirror : entretien avec Nathaly Petrova

On le sait depuis long­temps : une « simple image » n’est jamais simple et Nathaly Petrova non seule­ment le sait, elle le prouve et s’en amuse en se scé­na­ri­sant et en inven­tant un nou­veau moyen de le faire. Le corps s’élève dans des images qui semblent fuir. Fami­lier — a priori -, le corps reste étrange et étran­ger dans les inter­stices et les obs­tacles que l’artiste pro­pose. Les coïn­ci­dences se défont mais les rêves s’enfilent dans des règles du jeu qui enjambent le mys­tère et main­tiennent sous les cartes du Tendre le corps loin­tain : terra inco­gnita, note tenue d’une musique des sphères.Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Comme je n’ai aucune contrainte, le matin je me lève quand mes yeux s’ouvrent, même par­fois après le matin, pas sou­vent quand même.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils voyagent tou­jours dans mon esprit et par­fois je réussi à en attra­per un, c’est pas facile, car ils glissent entre les doigts d’adulte. Quand j’en attrape un, je ne le lâche pas pour le suivre.

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai, un soir, encore ado­les­cente, renoncé défi­ni­ti­ve­ment à ma vir­gi­nité, je ne le regrette pas.

D’où venez-vous ?
Cela n’a d’importance que pour moi, c’est très per­son­nel. Je vois sou­vent des gens qui citent le même pro­verbe afri­cain : « Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens.» Eh bien, je ne sais pas où je vais, à chaque ins­tant je modi­fie les alter­na­tives de mon futur et je suis ouverte et prête à toutes les éven­tua­li­tés et aventures.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un ave­nir, un pré­sent et un passé, aussi beau­coup d’autres choses comme l’amour, la culture et la curio­sité. Puis aussi, à ne pas négli­ger, quelques œuvres d’art.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Me mettre devant le miroir, je vous en dirai plus un peu plus loin.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Je retour­ne­rai cette ques­tion à l’inverse, ce qui m’assimile aux autres artistes et qui me dis­tingue de ceux qui ne sont pas artistes. Pour beau­coup, le choix d’une pro­fes­sion est un choix conscient ou par défaut, avo­cat, méde­cin, arti­san. Tan­dis qu’être artiste n’est pas un choix, c’est une chose qui s’impose à nous sans qu’on puisse y résis­ter, il fau­drait être stu­pide de choi­sir une voie pro­fes­sion­nelle où 80% des per­sonnes n’en vivent pas. C’est comme tout acte créa­tif, on ne se dit pas : “tiens aujourd’hui je vais faire une œuvre”, c’est plu­tôt l’œuvre qui nous demande de la créer. Les artistes ne se dis­tinguent pas par eux-mêmes, mais pas leurs œuvres. J’ai tou­jours pensé que l’œuvre est plus impor­tante que l’artiste quel que soit son égo.
Ma dif­fé­rence est que mes œuvres sont imma­té­riel­le­ment face­boo­kiennes, elles peuvent se regar­der, par­ta­ger, mais pas s’acheter. Il y a eu le street-art où des artistes graf­faient les murs des autres, je graffe mon propre mur sur Facebook.

Com­ment définiriez-vous votre approche de la pho­to­gra­phie ?
Je suis une aven­tu­rière et je fais les images comme des suites reportages-fictions de mes aven­tures réelles, ima­gi­naires et un peu les deux à la fois. J’ai vécu en Colom­bie et je suis très impré­gnée par le réa­lisme magique et les contes familiaux.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Quand j’ai vu pour la pre­mière fois le por­trait de Jeanne d’Aragon peint par Raphaël au musée du Louvre, j’ai eu une émo­tion si forte que j’ai eu un véri­table… plaisir.

Et votre pre­mière lec­ture ?
A la mater­nelle, l’abécédaire.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’aime les clas­siques et en moderne tout ce qui a des racines jazzy et blues, le jazz manouche, le jazz rock…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« 100 ans de soli­tude », mais en addi­tion­nant la relec­ture, je risque d’en avoir pour 200 ans de soli­tude ou bien le revivre.

Quel film vous fait pleu­rer ?
J’avais 8 ans et j’avais mis une cas­sette vidéo de « Blanche Neige ». J’avais fait toute mon ins­tal­la­tion avec mes dizaines de peluches, il y avait Bambi, le lapin et tous les autres ani­maux, j’avais même le dino­saure bleu qui n’était pas dans le des­sin animé, c’était ma touche per­son­nelle. A la scène où Blanche Neige était avec tous les ani­maux dans la forêt, je mimais la scène et là, la bande de la cas­sette s’est entor­tillée et j’ai pleuré, j’ai beau­coup pleuré. Mon papa, un gen­til papa, a remué ciel et terre, et même la mer pour me trou­ver une autre cas­sette, j’étais contente et j’ai arrêté de pleurer.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
“Les miroirs feraient bien de réflé­chir avant de ren­voyer les images.” disait Jean Coc­teau. Après des recherches scien­ti­fiques assez pous­sées sur les théo­ries de Gabriel Lipp­mann, de Denis Gabor et sur les tra­vaux de Jacob et Wil­helm Grimm, j’ai inventé le Smart­Mir­ror qui a plu­sieurs de fonc­tions avan­cées. Comme tous les bons miroirs, il réflé­chit comme l’a constaté Coc­teau, j’ai apporté grâce aux tech­no­lo­gies des cris­taux liquides et l’optronique des amé­lio­ra­tions.
Il est à com­mande vocale, et chaque matin je lui demande: Miroir mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle ?
Il me répond tou­jours que c’est Blanche-Neige et qu’il y a aussi Mari­lyn Mon­roe et d’autres, mais que je suis dans la bonne moyenne. Tant qu’il ne me dit pas que je suis la plus moche, ça va. On peut le régler, j’ai mis sur « vérité amé­lio­rée » il y a aussi le réglage « men­songe idéal »
Ce que je n’aime pas trop, c’est quand il me fait la réflexion que j’ai pris quelques kilos ou que mes fesses res­semblent à celles de Kim Kar­da­shian.
A part ça, il fait zoom, c’est bien pour se maquiller, vues de coté et arrière, c’est pra­tique pour se coif­fer et atta­cher son soutien-gorge.
La pre­mière fois qu’il m’a mon­trée de dos, j’ai cru qu’il se pre­nait pour le miroir de Magritte.
Avant de m’habiller, je viens devant lui et lui demande ce que je peux mettre en lui disant où je vais et il me fait des pro­po­si­tions sur mon reflet et en fonc­tion aussi du temps, il est connecté par la wi-fi à la météo. Il fait les 360° et je me vois tour­née sur moi-même.
Avant de par­tir dîner au res­tau­rant, je lui dis ce qu’il y a au menu et il me montre où je risque de prendre des formes, c’est assez dis­sua­sif.
Il a d’autres fonc­tions amu­santes comme le chan­ge­ment de sexe ou de per­sonne.
Par­fois, quand je passe devant lui, je vois mon reflet nu. Là je lui dis « réflé­chis au lieu de rêver »
Je ne sais pas vrai­ment de quel côté du miroir, je suis. D’un côté, c’est la réa­lité et de l’autre la vir­tua­lité, où suis-je?,  à la fron­tière des deux, dans cette zone cré­pus­cu­laire pou­vant pas­ser d’un côté à l’autre comme le sug­gé­rait Charles Lut­widge Dodgson ?

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai jamais osé m’écrire à moi-même, ni me télé­pho­ner, je pré­fère me télé­pa­ther. J’aurai peut-être dû, main­te­nant que vous m’y faites pen­ser, oser m’écrire, dans l’interview je me décris un peu à moi-même plus qu’aux autres. On ne va pas jouer avec les pré­fixes, écrire ou décrire.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Paris des années 30, la Venise du XVIème siècle, la Rome des années 60 (après J.-C. bien sur, pas avant)

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Proche est un grand mot, j’adore Raphaël, mais je suis loin d’être proche, nous sommes tous minus­cules à côté. Je me sens proche de tout le monde et en même temps très éloignée.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Des rêves, j’en suis très friande quitte à en faire une indigestion.

Que défendez-vous ?
Je défends la cause des robots mal­trai­tés, car on voit de plus en plus sur les réseaux sociaux des vidéos de robots se fai­sant mal­trai­ter. Les gens en pro­fitent parce qu’ils ne peuvent pas se défendre, ce n’est pas dans leur pro­gram­ma­tion. Ca devient scandaleux.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cela c’est pas grave, le pro­blème ne vient que si la per­sonne en veut, soit sur le côté affec­tif ou bien pire phy­sique si on décline ça à la sexua­lité.
L’autre option est : on a et l’autre ne veut pas, c’est déses­pé­rant.
Puis il y a on a et l’autre veut, ce qui est par­fait
J’en viens à pen­ser au pari de Pas­cal qui peut s’appliquer à cette logique. Il vaut mieux avoir de l’amour à don­ner.
Si je donne et on veut, c’est bon. Si je donne et on ne veut pas, tant pis
Si je ne donne pas et on veut, ça ne marche pas. Si je ne donne pas et on ne veut pas, ça n’a pas d’importance.
Donc, il faut tou­jours don­ner ce qu’on a et ne jamais don­ner ce qu’on n’a pas et ça dans tous les domaines. Lorsqu’on donne, ce n’est pas tou­jours dans l’intention de rece­voir.
Ca m’inspire que Pas­cal est plus logique et que Lacan a fait un effet de manche avec cette phrase.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Dans mon cas, je ne réponds jamais oui à une ques­tion, mais on peut espé­rer que lorsque je dis « non » c’est peut-être et quand je dis « peut-être » c’est oui.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
 Ah, cette fameuse ques­tion qu’on oublie tou­jours de poser ! Je vais vous aider à la retrou­ver, ça pren­dra le temps qu’il fau­dra, mais on va bien finir par la retrou­ver. Ca fait quand même un moment que cette ques­tion est oubliée et jamais per­sonne ne l’a vrai­ment recher­chée. En plus, si on la retrouve on pourra aussi lui don­ner une réponse, elle en sera plus déses­pé­ré­ment seule sans sa réponse. C’est tou­jours triste de sépa­rer des beaux couples comme ça, ques­tion et réponse.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 30 août 2017.

2 Comments

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2 Responses to Celle qui graffe son mur sur Facebook en inventant le SmartMirror : entretien avec Nathaly Petrova

  1. Jean Delaunay

    Superbe inter­view, finesse, intel­li­gence et frai­cheur, un vrai régal à lire.

  2. abergel

    c est tout sim­ple­ment splendide

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