On le sait depuis longtemps : une « simple image » n’est jamais simple et Nathaly Petrova non seulement le sait, elle le prouve et s’en amuse en se scénarisant et en inventant un nouveau moyen de le faire. Le corps s’élève dans des images qui semblent fuir. Familier — a priori -, le corps reste étrange et étranger dans les interstices et les obstacles que l’artiste propose. Les coïncidences se défont mais les rêves s’enfilent dans des règles du jeu qui enjambent le mystère et maintiennent sous les cartes du Tendre le corps lointain : terra incognita, note tenue d’une musique des sphères.Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Comme je n’ai aucune contrainte, le matin je me lève quand mes yeux s’ouvrent, même parfois après le matin, pas souvent quand même.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils voyagent toujours dans mon esprit et parfois je réussi à en attraper un, c’est pas facile, car ils glissent entre les doigts d’adulte. Quand j’en attrape un, je ne le lâche pas pour le suivre.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai, un soir, encore adolescente, renoncé définitivement à ma virginité, je ne le regrette pas.
D’où venez-vous ?
Cela n’a d’importance que pour moi, c’est très personnel. Je vois souvent des gens qui citent le même proverbe africain : « Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens.» Eh bien, je ne sais pas où je vais, à chaque instant je modifie les alternatives de mon futur et je suis ouverte et prête à toutes les éventualités et aventures.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un avenir, un présent et un passé, aussi beaucoup d’autres choses comme l’amour, la culture et la curiosité. Puis aussi, à ne pas négliger, quelques œuvres d’art.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Me mettre devant le miroir, je vous en dirai plus un peu plus loin.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je retournerai cette question à l’inverse, ce qui m’assimile aux autres artistes et qui me distingue de ceux qui ne sont pas artistes. Pour beaucoup, le choix d’une profession est un choix conscient ou par défaut, avocat, médecin, artisan. Tandis qu’être artiste n’est pas un choix, c’est une chose qui s’impose à nous sans qu’on puisse y résister, il faudrait être stupide de choisir une voie professionnelle où 80% des personnes n’en vivent pas. C’est comme tout acte créatif, on ne se dit pas : “tiens aujourd’hui je vais faire une œuvre”, c’est plutôt l’œuvre qui nous demande de la créer. Les artistes ne se distinguent pas par eux-mêmes, mais pas leurs œuvres. J’ai toujours pensé que l’œuvre est plus importante que l’artiste quel que soit son égo.
Ma différence est que mes œuvres sont immatériellement facebookiennes, elles peuvent se regarder, partager, mais pas s’acheter. Il y a eu le street-art où des artistes graffaient les murs des autres, je graffe mon propre mur sur Facebook.
Comment définiriez-vous votre approche de la photographie ?
Je suis une aventurière et je fais les images comme des suites reportages-fictions de mes aventures réelles, imaginaires et un peu les deux à la fois. J’ai vécu en Colombie et je suis très imprégnée par le réalisme magique et les contes familiaux.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Quand j’ai vu pour la première fois le portrait de Jeanne d’Aragon peint par Raphaël au musée du Louvre, j’ai eu une émotion si forte que j’ai eu un véritable… plaisir.
Et votre première lecture ?
A la maternelle, l’abécédaire.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’aime les classiques et en moderne tout ce qui a des racines jazzy et blues, le jazz manouche, le jazz rock…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« 100 ans de solitude », mais en additionnant la relecture, je risque d’en avoir pour 200 ans de solitude ou bien le revivre.
Quel film vous fait pleurer ?
J’avais 8 ans et j’avais mis une cassette vidéo de « Blanche Neige ». J’avais fait toute mon installation avec mes dizaines de peluches, il y avait Bambi, le lapin et tous les autres animaux, j’avais même le dinosaure bleu qui n’était pas dans le dessin animé, c’était ma touche personnelle. A la scène où Blanche Neige était avec tous les animaux dans la forêt, je mimais la scène et là, la bande de la cassette s’est entortillée et j’ai pleuré, j’ai beaucoup pleuré. Mon papa, un gentil papa, a remué ciel et terre, et même la mer pour me trouver une autre cassette, j’étais contente et j’ai arrêté de pleurer.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
“Les miroirs feraient bien de réfléchir avant de renvoyer les images.” disait Jean Cocteau. Après des recherches scientifiques assez poussées sur les théories de Gabriel Lippmann, de Denis Gabor et sur les travaux de Jacob et Wilhelm Grimm, j’ai inventé le SmartMirror qui a plusieurs de fonctions avancées. Comme tous les bons miroirs, il réfléchit comme l’a constaté Cocteau, j’ai apporté grâce aux technologies des cristaux liquides et l’optronique des améliorations.
Il est à commande vocale, et chaque matin je lui demande: Miroir mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle ?
Il me répond toujours que c’est Blanche-Neige et qu’il y a aussi Marilyn Monroe et d’autres, mais que je suis dans la bonne moyenne. Tant qu’il ne me dit pas que je suis la plus moche, ça va. On peut le régler, j’ai mis sur « vérité améliorée » il y a aussi le réglage « mensonge idéal »
Ce que je n’aime pas trop, c’est quand il me fait la réflexion que j’ai pris quelques kilos ou que mes fesses ressemblent à celles de Kim Kardashian.
A part ça, il fait zoom, c’est bien pour se maquiller, vues de coté et arrière, c’est pratique pour se coiffer et attacher son soutien-gorge.
La première fois qu’il m’a montrée de dos, j’ai cru qu’il se prenait pour le miroir de Magritte.
Avant de m’habiller, je viens devant lui et lui demande ce que je peux mettre en lui disant où je vais et il me fait des propositions sur mon reflet et en fonction aussi du temps, il est connecté par la wi-fi à la météo. Il fait les 360° et je me vois tournée sur moi-même.
Avant de partir dîner au restaurant, je lui dis ce qu’il y a au menu et il me montre où je risque de prendre des formes, c’est assez dissuasif.
Il a d’autres fonctions amusantes comme le changement de sexe ou de personne.
Parfois, quand je passe devant lui, je vois mon reflet nu. Là je lui dis « réfléchis au lieu de rêver »
Je ne sais pas vraiment de quel côté du miroir, je suis. D’un côté, c’est la réalité et de l’autre la virtualité, où suis-je?, à la frontière des deux, dans cette zone crépusculaire pouvant passer d’un côté à l’autre comme le suggérait Charles Lutwidge Dodgson ?
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai jamais osé m’écrire à moi-même, ni me téléphoner, je préfère me télépather. J’aurai peut-être dû, maintenant que vous m’y faites penser, oser m’écrire, dans l’interview je me décris un peu à moi-même plus qu’aux autres. On ne va pas jouer avec les préfixes, écrire ou décrire.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Paris des années 30, la Venise du XVIème siècle, la Rome des années 60 (après J.-C. bien sur, pas avant)
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Proche est un grand mot, j’adore Raphaël, mais je suis loin d’être proche, nous sommes tous minuscules à côté. Je me sens proche de tout le monde et en même temps très éloignée.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Des rêves, j’en suis très friande quitte à en faire une indigestion.
Que défendez-vous ?
Je défends la cause des robots maltraités, car on voit de plus en plus sur les réseaux sociaux des vidéos de robots se faisant maltraiter. Les gens en profitent parce qu’ils ne peuvent pas se défendre, ce n’est pas dans leur programmation. Ca devient scandaleux.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cela c’est pas grave, le problème ne vient que si la personne en veut, soit sur le côté affectif ou bien pire physique si on décline ça à la sexualité.
L’autre option est : on a et l’autre ne veut pas, c’est désespérant.
Puis il y a on a et l’autre veut, ce qui est parfait
J’en viens à penser au pari de Pascal qui peut s’appliquer à cette logique. Il vaut mieux avoir de l’amour à donner.
Si je donne et on veut, c’est bon. Si je donne et on ne veut pas, tant pis
Si je ne donne pas et on veut, ça ne marche pas. Si je ne donne pas et on ne veut pas, ça n’a pas d’importance.
Donc, il faut toujours donner ce qu’on a et ne jamais donner ce qu’on n’a pas et ça dans tous les domaines. Lorsqu’on donne, ce n’est pas toujours dans l’intention de recevoir.
Ca m’inspire que Pascal est plus logique et que Lacan a fait un effet de manche avec cette phrase.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Dans mon cas, je ne réponds jamais oui à une question, mais on peut espérer que lorsque je dis « non » c’est peut-être et quand je dis « peut-être » c’est oui.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Ah, cette fameuse question qu’on oublie toujours de poser ! Je vais vous aider à la retrouver, ça prendra le temps qu’il faudra, mais on va bien finir par la retrouver. Ca fait quand même un moment que cette question est oubliée et jamais personne ne l’a vraiment recherchée. En plus, si on la retrouve on pourra aussi lui donner une réponse, elle en sera plus désespérément seule sans sa réponse. C’est toujours triste de séparer des beaux couples comme ça, question et réponse.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 30 août 2017.
Superbe interview, finesse, intelligence et fraicheur, un vrai régal à lire.
c est tout simplement splendide