Joel Baqué, La Fonte des glaces

Du cochon au manchot

Voici un roman des grands froids qui ne lais­sera pas de glace même s’il se passe en grande par­tie au sein des deux pôles. Il tient de la farce de l’écologie : un retraité ex-charcutier devient un « héraut » mon­dial. Mais à son corps défen­dant et suite à un achat dans une bro­cante d’un man­chot empe­reur natu­ra­lisé dont l’existence va chan­ger sa vie. Amou­reux de l’empaillé, ce sombre héros — tou­jours quelque part incon­solé — part pour les enfers blancs avant de faire retour dans la rade de Tou­lon « à la barre » (si l’on peut dire) d’un ice­berg déplacé à grands frais par un fabri­cant de bois­sons à base de glace polaire fon­due.
Il devient l’apôtre de la défense de la ban­quise et un lut­teur de fond contre le réchauf­fe­ment de la pla­nète. Le roman n’est en rien “concon” mais fon­dant sûre­ment. L’auteur y offre la bio­gra­phie post­hume de cet engagé mal­gré lui en un des­tin fabu­leux. Dès l’enfance, tout va pour lui à vau-l’eau. Mais le timide, couvé par sa mère veuve, après les rillettes, le bou­din, le plat de côtes et les pieds paquets, celui qui jusque là « pou­vait se taire pour deux » et vivait une exis­tence immo­bile et mil­li­mé­trée comme une pâte den­ti­frice sor­tant de son tube trouve avec le man­chot une pas­sion dévorante.

Dans sa dérive gla­ciaire et en com­pa­gnie d’un guide inuit inouï, il n’est pas jusqu’à des bis­cuits sovié­tiques péri­més à jouer un rôle dans cette fable ou sotie à l’humour à froid car il ne faut en effet pas ajou­ter des dégâts à ceux que la ban­quise subit. L’épopée devient rocam­bo­lesque plus que désen­chan­tée Nous sommes bien loin du pré­cé­dent livre (La mer c’est rien du tout) où le bit­ter­rois racon­tait sa vie de fonc­tion­naire de police. C’était une réus­site mais ce nou­vel opus va plus loin. Nous entrons dans le roman « d’anticipation » qui donne une bien autre ver­sion de ce qu’une auteure plus connue de l’écurie P.O.L évoque cet automne : Marie Dar­rieus­secq.
Joël Baqué ose — du haut de ses gla­ciers ivoires — ce que l’auteur de Truismes n’a fait que frô­ler. Son héros boit l’eau en oubliant les boyaux. A la queue de cochon; il pré­fère la corne d’auroch. Et en mon­tant là des­sus (enten­dons l’iceberg), c’est pour voir bien plus loin que Mont­martre. Le tout sans lamento ni fiasco. Il ne s’agit plus de fris­son­ner dans la salade de museau. De quoi tout par­don­ner à sa mère et à son père dis­paru de manière plus qu’étrange.

Sur la ban­quise du grand sud ou des nords cana­diens souffle une bise de volupté là où cer­tains seraient épris que d’un vide abys­sal. Preuve que les man­chots ne sont pas des manches et peuvent faire de tous les jours de la semaine des dimanche. Là où il n’existait plus per­sonne pour les sau­ver, le héros devenu icône glacé prouve que — comme dans le cochon — tout est bon dans l’homme.

jean-paul gavard-perret

Joel Baqué,  La Fonte des glaces, P.O.L Edi­tions, Paris, 2017.

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