Perrine Le Querrec, La Patagonie

Continent femme

La Pata­go­nie est un texte consti­tué de 88 frag­ments (dont l’un donne le titre au livre) où s’imbriquent poèmes en vers ou en prose (et quelques pho­tos de l’auteure en noir et blanc). L’ensemble devient une « nar­ra­tion » ou plu­tôt une suite d’évocations ins­crites sous l’ordre du je, du nous, de l’impersonnel. Le but est moins de décrire le réel que de l’interroger à tra­vers les faibles, les exclus au cœur même des familles sourdes – c’est sans doute pour­quoi rien ne s’y dit.
Pour autant, les inno­cents ont les yeux pleins de la souf­france des êtres comme celles des ani­maux tel «l’énorme lapin blanc, chaud, lourd, doux (…) au petit corps gainé de peau blanche et bleue, sou­le­vée par les coups du coeur». Les enfants y découvrent une « dose d’épouvante dans une bogue de four­rure ». Preuve que la vie comme la mort est dans les détails.

Une fois de plus, la poé­tesse déterre les trau­ma­tismes, sou­lève ce qui ruine. Elle pousse néan­moins au-delà des muti­la­tions et redonne voix aux fan­tômes muets. Riche d’« un lacet de vent, un cor­don de lumière », elle arpente ses « gla­ciers de Pata­go­nie » en écho aux proses trans­si­bé­riennes de Blaise Cen­drars. Moins loin, en ses jar­dins d’enfance elle en ramène une sorte de beauté.
Repre­nant le je, elle évoque la com­pli­cité d’une fille avec sa mère « les pieds chaus­sés d’herbe crue elle secoue le drap, fra­cas de coton,/ je tombe à chaque éclair/ elle rit / — Attrape le coin ! / Je m’élance à la pour­suite du coin. /Mais alors l’autre m’échappe, / immen­sité hou­leuse, ciel pommelé,/ et son sou­rire au loin,/ qui flotte au-dessus de notre inti­mité immaculée. ».

Perrine Le Quer­rec prouve qu’au-delà de ses sou­ve­nirs elle n’écrit « pas une his­toire mais une langue, (…) pas une situa­tion mais une forme ». Les « anec­dotes» res­tent des pré­textes aux mots. Cha­cun « est une décou­verte, une hor­reur, une soli­tude, deux mots sont un miracle, les recherches inter­rogent, sou­lèvent le sujet, l’écorchent, l’écriture est une ana­to­mie, elle sort chaque organe, le pèse, sou­pèse, le dis­sèque ». Il ne faut donc pas s’attendre à une nar­ra­tion gué­ris­seuse.
Tout reste de l’ordre de la sca­ri­fi­ca­tion. Mais aussi d’une lutte aussi finale que vaine. Existe donc une pro­messe du temps qui jaillit moins de ce qui est dit que de com­ment cela s’exprime. Ruines récem­ment l’a encore prouvé par l’évocation de la vie d’Unica Zürn. Il s’agit chaque fois de retrou­ver une mai­son qui ne soit pas de famille mais de celle de l’être. Il n’y serait plus spo­lié et bafoué.

jean-paul gavard-perret

Per­rine Le Quer­rec, La Pata­go­nie, Les Car­nets du Des­sert de Lune, 2017, 108 p.

 

 

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