Maître dans l’amoncellement des détails, Jean-Pierre Nadau crée des œuvres qui frisent le chaos pour lui offrir des permanentes. L’univers des « immondes » cités prend un caractère volontairement indéchiffrable et drôle. Le graphisme est inépuisable et c’est un plaisir que de s’y perdre. La vie grouille animée d’une dynamique interne qui pourrait rapprocher ce travail de l’Art Brut même s’il en reste le parfait contraire.
Dans le diurne ou le nocturne le réel est poussé du coude, ses pans s’incarnent, s’écartent, se dissolvent là où les lignes cherchent les formes, défaillent, s’effritent de manière splendide. La vie, la plus légère comme la plus sombre, se gonfle et se cabre. Turbulente, elle flotte — rien ne reste stable au sein de la fixité.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le matin , j’aime simplement le matin .
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je suis toujours en partie un enfant et j’ai encore des rêves impossibles .Donc il n’y a qu’une continuité.
A quoi avez-vous renoncé ?
Acquérir un château du 18ème siècle. Là c’est un rêve qui me parait définitivement inaccessible…
D’où venez-vous ?
De Melun ( Seine-et Marne ) ; l’ancienne clinique Saint-Jean, fermée en 1965, mais dont les fenêtres étaient ouvertes quand je suis né, se trouvait à 4 kilomètres à vol d’oiseau du ru d’Ancoeuil, le grand canal de Vaux-le-Vicomte. Jusqu’à 11 ans j’habitais rue d’Arqueil dans un petit village du même département et mon père travaillait à Arcueil. C’était inscrit, dès le départ l’art m’a cueilli, accueilli, recueilli. Alors vas-y Nadau, en scène et marne.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Une bonne éducation de mes parents et jusqu’à présent une santé satisfaisante pour continuer sereinement mes fantaisies.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
De travailler justement. La création, même si ça demande du temps et de l’énergie, malgré les problèmes financiers, les insatisfactions diverses, ce n’est au bout du compte que gratifiant.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Manger un citron en regardant certains vieux films français des années 50–60 dialogués par Audiard.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Le simple déroulement forcément singulier de nos vies suffit à nous distinguer les uns des autres. Artistes ou non.
Comment définiriez-vous votre manière d’aborder le “plan” ?
S’il s’agit du “plan” graphique, en pur improvisateur pour les petits formats, mais plus la surface s’agrandit, plus il y a de construction en amont, de délire organisé.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
Je n’en sais rien, probablement une forêt ou un château.
Et votre première lecture ?
Un livre des contes de Perrault dont les illustrations m’ont plongé dans des rêveries indicibles !
Quelles musiques écoutez-vous ?
Frank Zappa, en particulier certaines de ses incroyables oeuvres au synclavier. C’est juste un idéal pour moi quelques unes de ses compositions, et c’est extrêmement rare de trouver ça. Sinon des choses assez diverses, de JS Bach à Venetian Snares. Depuis quelques années je privilégie aussi des moments d’écoute en boucle d’oeuvres sereines et méditatives qui ne lassent jamais, je pense en particulier à des morceaux comme “Nuages” ou “Manoir de mes rêves” de Django Reinhardt et aussi des premières pièces de Satie composée à Montmartre, “Ogives ” , “Sarabandes “, “Danses gothiques ” … une magie éternelle.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Les Sept boules de cristal » et « Le Temple du Soleil » d’Hergé et des nouvelles de Lovecraft , « Le Cauchemar d’Innsmouth » en particulier .
Quel film vous fait pleurer ?
Aucun.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un mec qui s’apprête à se laver les dents , moi en l’occurrence.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A personne.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Paris , New-York , le village de mon enfance, les jardins d’André Le Nôtre, l’inaccessible Amazonie, les lieus plus ou moins réels dont parle Lovecraft dans ses récits et la maison d’Ensenada Drive où Captain Beefheart et son Magic Band enregistra Trout Mask Replica en 1969.
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
L’artiste que je connais personnellement et avec qui je me sens le plus proche est peut-être Chris Hipkiss .
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un château du 18ème siècle avec tout le confort moderne mais du mobilier d’époque, agrémenté d’un jardin à la française, entouré d’un bois plein de vieux chênes et riches en cèpes et chanterelles quand c’est la saison.
Que défendez-vous ?
Mon territoire.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
J’admire l’intelligence de mecs capables de sortir des phrases pareilles , mais je trouve ça un poil pessimiste.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Je suis encore plus admiratif de cette formule, mais l’humour d’une phrase aussi implacable, comme la musique et la peinture, ne peuvent qu’être alourdies par un commentaire supplémentaire. Donc , no comment.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quelle réponse ai-je oublié de vous donner ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 25 août 2015