L’art n’a pas besoin de but ou de justification. Laurence Demaison le prouve. A la longue reste l’errance statique que l’artiste nous propose. On met longtemps à le comprendre, on met longtemps à comprendre qu’on n’a jamais été vivant. Dans l’écart l’oeuvre renvoie non aux fantasmes mais les inclut dans un réel sur lequel on ne peut mettre de noms. Il faut glisser encore, glisser dans les images. Comme à perte de vue. Il convient d’en tirer les conséquences.
L’oeuvre fait surgir de bien étranges vierges et des diablesses tantriques qui semblent sortir de limbes ou de cités englouties. Rêves et fantasmes se trouvent réincarnées aux sources de l’histoire religieuse ou magique et de l’inconscient de l’artiste soumis à une contrainte “viscérale” et passionnée. Métamorphosée, la photographie numérique remplit l’espace à coups de figures mythiques issues de bien des traditions comme du réel. Il y a toutes ces têtes oblongues, toutes ces bouches ouvertes, ces vies dans les plis où l’extase prend un aspect particulier : les vivants et les morts s’y interpellent et semblent se répondre.
Il s’agit de contempler la perte irréductible et la pérennité qui différencient le travail du deuil et celui de la mélancolie. Une mélancolie particulière où peut se reconnaître ce qui a été perdu puisque le temps n’est plus là que pour duper.
Laurence Demaison, Personne, livre auto-édité, 348 pages, format 30 x 30 cm, 588 ill.. Visible sur le site de l’artiste.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mes chats. Qui viennent se frotter à moi, ils savent que c’est l’heure, de se lever, de manger !!
Et puis échapper au 1er mot qui me vient en tête et m’effraie. Ce mot est mourir. C’est souvent le 1er mot qui arrive à ma cervelle alors que je n’ai pas encore ouvert les yeux.
Alors se lever.
Pas toujours. Merci
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je n’ai aucun souvenir de rêves d’enfant. Aucun. Je voudrais être ceci, faire cela, rien. Je ne me souviens de rien. Je n’ai que des souvenirs mauvais.
A quoi avez-vous renoncé ?
Oh. A tout.
Mais pas à la vie, ce qui est déjà grandement bien. Une victoire.
D’où venez-vous ?
D’une éjaculation banale, comme il y en a des centaines de milliers par jour.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Mille et une névroses. Une peur de tout, une incapacité à vivre. Merci papa, merci maman.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Mille petits plaisirs !!!! Que je bichonne comme de l’or en barre ! La sieste, où me viennent tous mes désirs d’images, les ronronnements de mes chats, les fleurs de mon petit jardin, un agenda le plus vide possible.
Des rencontres choisies, subir le moins possible, c’est le mot d’ordre.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Aucune idée.
De toute façon, 1 je m’en fous et, 2 je ne suis pas une “artiste” (je déteste ce mot)
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Bonne question. J’ai du visiter mon 1er musée vers 18–20 ans. Ce n’était pas un hobby familial. Mon 1er souvenir est à Amsterdam, Van Gogh. Je m’en souviens car je savais que c’était important, grand artiste etcetcetc, mais ça ne m’a rien fait. Aucune émotion.
Car on ne voit que ce que l’on sait, et je ne savais rien, donc je n’ai rien vu, et rien ressenti.
Autre que les choses dans les musées, j’ai adoré mille personnages de bd, de mon époque ; je les recopiais, triais ces dessins dans des petites pochettes qui étaient des trésors pour moi.
Et votre première lecture ?
A l’inverse des musées, j’ai énormément lu, très jeune, tout, tout ce qui traînait, tout. La Bibliothèque Rose et la Verte pour moi, mais aussi les livres dans les cartons, les San Antonio, les Camus et Sartre et Beauvoir et tout ce qui pouvait se lire et était à portée de main, j’ai tout dévoré très jeune ; le pire et le meilleur ; et sans forcément tout y comprendre
Mais, grande importance dans ma vie
Pourquoi votre attirances vers “l’infra-sens” et l’”effacement” des apparences ?
La réponse est toute simple.
Quelles musiques écoutez-vous ?
La musique est la chose la plus importante. De loin !!!! De très loin. De très très loin. J’écoute de tout, mais je suis très difficile, très exigeante. Mais tous les genres sont (rarement) bons.
Depuis mon enfance, la musique est primordiale. A 12–13 ans j’avais toutes les cassettes des Beatles et des Stones, je n’ai jamais compris pourquoi il fallait choisir…
Après, j’ai passé 2 belles décennies, musicalement merveilleusement riches, années 80–90 avec mille et mille groupes incroyables d’inventions. Je faisais des émissions sur des radios libres, faisais partie d’une association qui organisait des concerts, j’étais dans la musique jusqu’aux yeux.
Je viens de vendre ma collection de vinyls. Temps révolu. Mais je suis toujours hyper sensible à la musique. Qui est de loin la chose la plus importante.
Rien d’autre n’est aussi fort. Et Bach en est le roi.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Le livre qui m’a le plus aplatie, aplatie dans mon lit durant quelques semaines, il y a longtemps, mais c’était hier, est « L’homme sans qualités ».
Mais j’ai essayé de le relire, 20 ans plus tard, et ça ne passe plus du tout.
Livre, image, film, musique, c’est une affaire de connexion, avec ce qu’on vit.
Des fois, rarement, c’est complètement magique. On est souffle coupé, et la vie est un peu différente après.
Quel film vous fait pleurer ?
Hihihi, je pleure très facilement, mais vraiment très facilement. Je suis très bon public.
C’est p’tet pour ça que je regarde très peu de films. Je suis vite bouleversée. C’est trop direct.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Plus je vieillis, plus je m’enlaidis, plus c’est facile. Enfin, il n’y a plus d’enjeu.
Alors, je vois qui ? Bonne question.
Je vois un truc, qui se transforme, vitesse grand V.
Ce truc je ne l’aimais déjà pas du tout avant.
Une grosse carcasse solide de bonne paysanne. Faire avec. Que dire ?
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A plein de gens, et plus le temps passe plus on sait qu’on est tous pareil, et donc, je peux écrire à chacun si j’en ai envie. La question serait donc plus, à qui avez vous envie d’écrire?
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Aucune. Je déteste voyager. Aucun lieu ne me fait rêver. Je n’ai aucune curiosité géographique. Au contraire, ça me fait flipper, pour plein de raison, les misères diverses, les animaux.…
Je me suis construis une jolie bulle, et je suis bien dedans.
Un bunker.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
?? Je ne sais pas ??? C’est grave, mais je n’ai pas de réponse, alors je ne vais pas en inventer.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Belle lurette que je ne fête plus mon anniversaire
Que défendez-vous ?
????????????
Pas grand chose. J’aimerais que les animaux-humains prennent plus en compte les animaux-non-humains.
Pour ça je remuerai ciel et terre
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
J’ai passé l’âge d’attendre quoi que ce soit de l’”amour”.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
J’ai aussi passé l’âge des réponses sans questions.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Les plus importantes.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 23 août 2017.
Je m’appelle Muzika, chère Laurence, et me sens proche de vous.