Il est l’héritier d’un pouvoir
Dans le nord de l’Espagne, au cœur du temple secret des Chevaliers d’Héliopolis, se déroule une initiation. Dix-sept doit vaincre en combat un énorme colosse. Il triomphe par son agilité et par la ruse. Fulcanelli révèle alors les origines de son protégé. Il n’est autre que le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Un fils conçu dans des conditions particulières pour vaincre l’impuissance des parents à s’unir. Louis XVI, libéré, après son épouse, s’en prend à Charlotte la boulangère dont il trouve le pain excellent.
Neuf mois plus tard, le prince arrive entouré de soins alors que Charlotte accouche seule dans la cuisine. Surprise, l’enfant royal est le mythique hermaphrodite que les alchimistes attendent depuis des siècles. La reine ne pouvant allaiter, c’est Charlotte, que le roi continue de fréquenter sexuellement, qui devient la nourrice officielle. Son garçon, abandonné, nourri par une chienne, devient débile.
La Révolution survient, le roi et la reine sont décapités et Louis XVII est au Temple. Fulcanelli le délivre avec l’aide de Charlotte qui le remplace par son fils. Après son initiation, sa renaissance, il devient le comte Astamar. Les Chevaliers le chargent alors d’une mission périlleuse auprès de la nouvelle royauté…
Le scénariste imbrique faits historiques et actions de fiction, faisant tenir leur rôle à des personnages authentiques tout en modifiant certains de leurs actes avérés. Il appuie son récit sur l’un des grands mythes de l’Histoire de France, à savoir le sort réel du Dauphin mort à l’âge de dix ans dans la prison du Temple. Jodorowsky en livre, ici, une version personnelle qui a le mérite d’être cohérente si l’on adhère à l’environnement ésotérique dont il fait grand usage. Il met en scène Fulcanelli et propose, là-aussi, une autre version tout aussi mystérieuse que celle qui prévaut autour du signataire de deux livres remarqués parus en 1926 et 1930. Ce nom serait un pseudonyme cachant nombre de personnes potentielles. Le scénariste préfère l’assimiler au fameux et obscur comte de Saint-Germain.
En retenant Héliopolis, Jodorowsky fait référence à Onou, cette ville égyptienne qui dès le XXVIIe siècle avant J.-C., fut la métropole religieuse de l’Ancien Empire.
On retrouve dans ce premier tome nombre des sujets chers à Jodorowsky tels que l’androgynie, le pouvoir, le sexe, le pouvoir du sexe, le corps et ses mutilations, la guerre, la corruption et les symboles ésotériques de toutes origines. Il fait croiser au lecteur, outre Louis XVI et son épouse, leur fils, un Louis XVIII souffrant de la goutte, Marat et sa meurtrière dont il imagine un parcours peu commun…
Mais tout le talent narratif de Jodorowsky resterait sans saveurs sans la mise en page et en images de Jérémy. On doit à ce dernier Barracuda, une série en six albums (Dargaud). Son coup de crayon dynamique, précis, le soin apporté aux détails transcendent cet opus. Avec Jérémy, les amateurs de bonnes bandes dessinées tiennent un illustrateur dont le talent va croître encore. Attendons-nous à de futurs albums magnifiques.
Ce premier tome ouvre brillamment une série par une intrigue enlevée et mouvementée sur fond d’alchimie et de faits historiques. Une belle uchronie ésotérique !
serge perraud
Alejandro Jodorowsky (scénario), Jérémy (dessin) & Felideus (couleurs), Les Chevaliers d’Héliopolis - t.1 : “Nigredo, l’œuvre au noir”, Glénat, coll. “Grafica”, mai 2017, 56 p. – 14,50 €.