Haruki Murakami, Chroniques de l’oiseau à ressort

La curio­sité laisse vite place à la perplexité

Paru au Japon en 2001, et pré­senté par son édi­teur fran­çais comme l’un des chefs-d’œuvre de Mura­kami, ce volu­mi­neux roman se lit avec curio­sité, mais laisse per­plexe plus qu’il n’emporte la convic­tion, en défi­ni­tive.
Le pro­ta­go­niste nar­ra­teur, Toru Okada, est ini­tia­le­ment pré­senté comme un homme assez quel­conque, qui a fait de médiocres études de droit avant d’occuper un emploi sans inté­rêt et de finir par démis­sion­ner sans rai­son pré­cise, éprou­vant le besoin de réflé­chir à son ave­nir. Il se trans­forme ainsi en homme au foyer, grâce au fait que son épouse, Kumiko, gagne assez d’argent pour deux. Mais peu à peu, des choses étranges com­mencent à rem­plir la nou­velle exis­tence inoc­cu­pée de Toru : son chat dis­pa­raît ; une femme incon­nue le har­cèle par télé­phone, en s’offrant à lui avec insis­tance ; il fait la connais­sance de deux sœurs voyantes et d’une ado­les­cente à la tour­nure d’esprit morbide…

Choix assez natu­rel pour un roman de grande enver­gure, les per­son­nages secon­daires impor­tants et les enjeux de l’action sont mis en place assez len­te­ment : au bout d’environ trois cents pages, le lec­teur ne sait pas encore où le mène l’auteur, et quelle ligne nar­ra­tive va prendre le des­sus sur les autres. L’impossibilité pro­vi­soire d’y voir clair ne nuit pas à l’intérêt de la lec­ture, au contraire, elle aiguise la curio­sité. En revanche, à par­tir de l’étape où Toru lui-même se révèle doté de capa­ci­tés sur­na­tu­relles, l’invraisemblance et (pire) la faci­lité nar­ra­tive com­mencent à sau­ter aux yeux d’une façon qui pro­voque une décep­tion croissante.

Mura­kami sou­hai­tait mani­fes­te­ment com­bi­ner des don­nées sédui­santes pour le grand public — et notam­ment pour le lec­to­rat ado­les­cent ama­teur de fan­tasy et de man­gas -, avec une réflexion plus sérieuse sur les valeurs humaines et sur la cruauté de l’Histoire. Mais les par­ties les plus ambi­tieuses de son récit (celles qui concernent l’expérience atroce de la géné­ra­tion qui a par­ti­cipé à la Seconde Guerre mon­diale) ne sont pas assez déve­lop­pées et s’avèrent com­plè­te­ment super­flues au vu de la par­tie finale du récit. En fait, la ligne nar­ra­tive concer­nant les rap­ports de Toru avec sa femme et avec son beau-frère devient la prin­ci­pale, vers le milieu du roman, ce qui limite gran­de­ment son poten­tiel de sens.

L’auteur choi­sit de fixer notre atten­tion sur le mys­tère de la dis­pa­ri­tion de Kumiko ; or, de manière très fâcheuse, nous sommes à même d’élucider ce mys­tère immé­dia­te­ment, à la dif­fé­rence du nar­ra­teur qui met — on voit mal pour­quoi — beau­coup de temps à tirer la bonne conclu­sion des indices dont il dis­po­sait dès le début. Il y a là une mal­adresse nar­ra­tive vrai­ment éton­nante, de la part d’un écri­vain expé­ri­menté ; ce n’est que la plus grosse de celles, fort nom­breuses, qui nous font pen­ser que Mura­kami s’est laissé aller à bâcler un roman dont le poten­tiel aurait pu don­ner quelque chose de remar­quable s’il avait été exploité avec une exi­gence maximale.

agathe de lastyns

 

   
 

Haruki Mura­kami, Chro­niques de l’oiseau à res­sort, tra­duit du japo­nais par Corinne Atlan et Karine Ches­neau, Bel­fond, mars 2012, 833 p. — 23,50 €

 
     

 

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