Sozzo, un ancien cascadeur spécialisé dans le hung up, le cavalier désarçonné dont un pied reste pris dans l’étrier, est mort de peur. Il doit placer sur le front de taureaux de combat, des bêtes énormes parquées dans un corral, des charges explosives numérotées. Il travaille pour Rex Heller, un ancien acteur devenu infirme, mais à la tête d’une immense fortune.
Lorsque toutes les charges sont posées, des vachers font sortir les bêtes unes à unes. Celles-ci furieuses veulent en découdre et chargent l’infirme, assis à quelque distance dans son fauteuil roulant. Il dispose d’un détonateur, qu’il doit saisir à la façon des cow-boys prenant leurs pistolets lors d’un duel, et faire exploser les têtes. Mais Rex aime le risque et retarde de plus en plus le moment d’appuyer sur le bouton.
Il a été une énorme star de série en incarnant Rodeoman, un cow-boy justicier aux super-pouvoirs, dans Cheval rouge. Amoureux de Zelda Marlowe, une actrice de second plan à la réputation sulfureuse, il a entretenu une liaison destructrice jusqu’au suicide de celle-ci. Pour se mettre en adéquation avec son personnage, il participait à des rodéos jusqu’à ce qu’un taureau, plus terrible que les autres, l’encorne, le privant de son sexe et de l’usage de ses jambes.
Rex est persuadé que la fille de Zelda, Mia, est son enfant. Il crée un parc d’attractions, Rodeoman City, glorifiant l’Ouest sauvage des pionniers. La sculpture, hors de proportion, pharaonique, d’un bronco de marbre rouge, en est la pièce centrale qui lui servira de caveau. Il se met en tête de faire venir Mia, sa prétendue fille, et donc son héritière, dans son parc, un parc comme une prison dorée mais où la moindre infraction est sanctionnée sans pitié. L’arrivée de Mia va susciter des convoitises, des jalousies, des complots et provoquer le chaos le plus absolu…
D’entrée de jeu, Serge Brussolo place le lecteur au cœur de l’action, définit le cadre et met la tension à un niveau élevé avec un homme qui doit évoluer, couvert de bouse de vache pour masquer son odeur, dans un enclos où se bousculent des bêtes d’une tonne. Puis le jeu morbide du personnage central laisse penser à une course vers la folie et masque une profonde pathologie. Ce n’est que le début d’une longue suite de situations toutes plus périlleuses, angoissantes les unes que les autres avec des personnages qui présentent une profonde cassure psychique.
Fidèle à son pragmatisme dans la description des éléments de décors, il brosse quelques portraits d’acteurs et décrit le monde hollywoodien sous un aspect moins glamour que celui de la cérémonie des Oscars. Il oublie le côté clinquant qui tente de masquer la réalité et décrit celle-ci faite de sourires hypocrites, de jalousie à fleur de peau, de phrases assassines, de croche-pieds et coups de poignards…
Il raconte ainsi l’envers du décor et l’ambiance qui règne dans ce milieu. Il donne la vision d’un ancien acteur devenu prisonnier de son rôle, possédé par le personnage qu’il interprète. L’exemple le plus célèbre étant celui de Bela Lugosi qui, à force d’interpréter Dracula, s’identifia à lui au point de dormir dans un cercueil.
Puis il relate la vie dans ce parc démentiel, où tout est reconstitué au plus proche de l’authenticité. “Dans l’Ouest, le vrai, personne ne se rasait ni ne se coupait les cheveux. Tout le monde portait la barbe. Les gens s’habillaient de guenilles… L’Ouest, le vrai, était peuplé de clodos qui puaient la sueur de cheval.“
Dans ce vase clos, car personne ne peut quitter les lieux, les tensions montent, les passions s’exacerbent. Et Serge Brussolo, qui sait comme personne “organiser” le chaos, s’en donne à cœur joie. C’est un festival, un feu d’artifices de tout ce que l’humain peut inventer pour nuire à son prochain.
serge perraud
Serge Brussolo, Cheval rouge, Éditions du Masque, coll. “Masque poche”, mai 2017, 432 p. – 8,00 €.