Quand on va tomber de sommeil il arrive que l’image et le désir fou d’une femme séparent du bruit que font ceux qui parlent. Plus rien ne compte qu’une “bouche / sculptée dans la pivoine”. Tout le reste devient un accident, il n’a plus de justifications d’usage. Une apparence légère et lancinante ne laisse pas en paix là où la pensée — du moins ce qu’il en reste — prend la forme du jour.
Pour Bertin, le corps de Nina devient un tissu si fin qu’il voit au travers. L’auteur en est retourné, séparé de lui même. Si loin — d’où sa lettre. Mais si proche, Vénus “garçonne à cheveux corbeau” sort de son bain. Elle a les cuisses moites et chaudes. Tout est mis soudain en équilibre précaire. En un seul centre : le corps. Il donne lieu à d’autres traces, leurs glissements, leurs passages.
Reste un mouvement étranger à la mémoire. Demeure juste la question du lieu et de la circulation du temps, de l’appel au passage. Ce n’est plus l’homme qui pénètre mais celle qui se plante en lui comme une baïonnette. Et le poète attend, espère cet assaut. Il n’écrit que pour ça face aux miasmes du monde. C’est l’unique voyage en un renversement de la donne : Ulysse désormais attend sa Pénélope.
jean-paul gavard-perret
Jérôme Bertin, Lettre à Nina, Atelier de l’Agneau, coll. Poèmes du jour, 2017, 20 p. — 9,00 €.