Les tableaux d’Anne Pantillon ne sont ni vraiment figuratifs, ni réalistes, ni abstraits : il existe trop d’effluves en eux. Ils ne sont pas plus conceptuels car ils se passent de discours. Ils sont plein d’accidents comme dans la nature mais aussi de caresses. Tout se joue entre le concret et une forme d’idéalité. La réalisation tient dans l’unique trait du pinceau ou de la peau. A sa manière, l’artiste devient une paysagiste extrême orientale.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La lumière, ou l’attente de la lumière.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je rêvais de devenir violoniste. La sensation de liberté et d’intimité que j’ai ressentie en peinture a été déterminante dans mon choix.
À quoi avez-vous renoncé ?
À l’exaltation que procure la scène musicale.
D’où venez-vous ?
D’une région rugueuse brassée par les éléments, La Chaux-Fonds, haute cité du Jura.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’amour des sons, des goûts, des couleurs, des formes. Il y avait déjà une grand-maman qui aimait les arts, pratiquait la musique et la peinture. Le reste de la famille maniait avec dextérité microscope, métronome et diapason, cultures maraîchères et fourneaux.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Peindre avec ma peau sur papiers, sans passer par le pinceau.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je l’ignore. J’aime ce qui est secret, caché sous les couches successives que le temps a déposées. La peinture est mon révélateur. Un travail souterrain entre inconscient et conscience. L’engagement du corps est essentiel à cette recherche.
Comment définiriez-vous votre approche du “paysage” ?
Depuis l’enfance, les paysages commencent par des rêves visionnés sur un plafond.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Toute petite, regarder par la fenêtre les premiers flocons de neige. La promesse de sorties avant l’aube avec la neige à mi-cuisses pour aller à l’école.
Et votre première lecture ?
Celle qui m’a marquée à 17 ans, « The snow of Kilimanjaro » d’Oscar Wilde. J’ai perdu ma grand-maman cette année-là, la mort est devenue réalité.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Dans mon travail, J-S.Bach et Brad Mehldau que j’aime percevoir comme des contemporains, Led Zeppelin, Simin Tander ou Henri Torgue & Serge Houppin sont quelques autres registres.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Il y a eu « Soie », d’Alessandro Barrico.
Quel film vous fait pleurer ?
Je pleure facilement devant un film. La liste est longue.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Ce visage des traces du temps et de la vie qui se prolongent dans mon travail.
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À quelques collectionneurs et galeristes.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Pendant ma formation artistique, un trek au Zanskar a été fondateur de ma perception des espaces.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
J’aime la présence sans concession de Pierre Soulages, les collages poétiques d’Italo Valenti, l’intimité des matières dansantes de Mark Tobey, le geste noir de Christian Dotremont, la vibration pure de Mark Rothko, la délicatesse et la rigueur de Julius Bissier.
J’aime les phrases courtes, ciselées, incisives ou tendres d’Agotha Kristof, Herbjørg Wassmo, Audur Ava Ólafsdóttir, Yvette Z’Graggen, Pascal Mercier, qui explorent la pâte humaine.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une très grande table chauffante de marouflage sous-vide.
Que défendez-vous ?
Ma liberté intérieure.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Peindre, c’est se rendre fragile, désirer. C’est un don, comme en Amour.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Elle m’évoque l’optimisme indécrottable qu’il faut avoir dans une vie de peintre.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
L’adresse de mon atelier est facile à trouver !
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 7 août 2017.