On gagne toujours à (re)découvrir Trollope
Ces deux nouvelles de Trollope, éditées chacune sous l’aspect d’un joli livre de poche, réservent au lecteur plusieurs surprises. La première : le romancier fameux pour ses vastes fresques sur l’Angleterre victorienne raconte, ici, des histoires situées en France. La seconde : nettement moins satirique que d’habitude, surtout dans Un amour de jeunesse, son écriture peut faire penser à celle de Maupassant. La troisième : les nouvelles révèlent un Trollope porté sur l’émouvant, plutôt que féroce comme on était accoutumé de le croire.
En tant que nouvelliste, l’auteur procède habilement par petites touches, par allusions et en laissant des lacunes dans le récit, pour narrer deux histoires d’amour bien différentes l’une de l’autre. Un amour d’adolescence (dont l’éditeur aurait mieux fait de conserver le titre original, La mère Bauche) se déroule dans un petit hôtel de Vernet-les-Bains, dont la patronne a été assez généreuse pour élever une orpheline comme sa propre enfant, mais trouve intolérable la perspective de la voir épouser son fils préféré. Mme Bauche déploie donc des efforts, avec l’aide de son ami, le Capitaine Campan, pour éloigner Adolphe de la belle Marie. Les stratagèmes des aînés réussiront en partie, tout en révélant progressivement le fond de chacun des quatre personnages principaux — c’est justement la part psychologique du récit qui permet à Trollope de montrer toute sa finesse narrative, avec une économie de moyens admirable.
Le Château du prince de Polignac nous transporte à Puy-en-Velay, où une séduisante veuve anglaise a mis en pension sa fille aînée. La mère s’y attarde, avec sa cadette, car elle s’y trouve mieux qu’en Angleterre, ce qui permet à un certain M. Lacordaire, qui a tout l’air d’un gentleman, de la courtiser de moins en moins discrètement. Dans cette nouvelle, les moments cocasses sont plus nombreux, mais malgré cela, la veuve hésitante et son soupirant apparaissent surtout comme deux êtres touchants, y compris parce qu’ils ne sont plus jeunes, et qu’ils sont conscients de courir chacun sa dernière chance de s’attirer un partenaire aimant.
On n’en dira pas davantage sur le contenu des textes, craignant de priver le lecteur des effets de surprise propres à le tenir en haleine jusqu’au bout de ces deux récits. Ils méritent d’être découverts, que vous ayez déjà lu des œuvres de Trollope ou que vous ignoriez tout de ce grand romancier. La traduction de Béatrice Vierne est parfaite : à la fois juste et discrète, si bien que pour un peu, on croirait la version française sortie de la plume de l’auteur.
agathe de lastyns
Anthony Trollope,
- Un amour de jeunesse, traduit de l’anglais par Béatrice Vierne, coll. “Carnets”, L’Herne, octobre 2011, 73 p.- 9,50 €.,
- Le Château du prince de Polignac, traduit de l’anglais par Béatrice Vierne, coll. “Carnets”, L’Herne, octobre 2011, 55 p.- 9,50 €.