Annick Geille, Pour lui

Pour les nos­tal­giques des années 70

Nostal­giques des années 1970, ce livre vous est des­tiné. Même si le récit d’Annick Geille n’a pas pour prin­ci­pal objec­tif de recons­ti­tuer cette époque-là, il la dépeint avec des effets hyper­réa­listes (comme les tableaux sou­vent évo­qués au fil des pages), de façon inévi­table, est-on tenté de dire, car la plu­part des per­son­nages et des enjeux de ce roman auto­bio­gra­phique n’auraient sim­ple­ment pas pu exis­ter tels quels au cours d’une autre décennie.

L’essen­tiel de l’action se déroule dans les bureaux du Groupe Fili­pac­chi, sur les Champs-Elysées, où la jeune Anne voit se concré­ti­ser son rêve : deve­nir jour­na­liste et côtoyer le patron, Daniel, qu’elle écou­tait à la radio avec ses amis d’adolescence, dans un coin perdu de sa Bre­tagne natale. C’était du temps où la géné­ra­tion des “copains“ et des demoi­selles “âge tendre“ pou­vait voir comme de grands hommes les gens de médias qui savaient la com­prendre, autre­ment dit qui fai­saient leur fonds de com­merce des goûts de leurs cadets. Pour Anne, Daniel incarne l’idéal : le sum­mum du métier qui l’émerveille, le comble de l’élégance et du charme alliés au pou­voir. D’une façon typique de ses contem­po­rains, elle passe rapi­de­ment de l’envie de faire “la révo­lu­tion“ (elle a essayé en mai 68) à l’enchantement devant le luxe où vivent les gens comme Fili­pac­chi, et l’ambition lui fait chan­ger de valeurs sans guère s’en aper­ce­voir. Annick Geille n’analyse pas vrai­ment ce pro­ces­sus, mais le laisse sai­sir avec une fran­chise désar­mante, qui rend la pre­mière par­tie de son récit plus ins­truc­tive que nombre d’études historiques.

Ayant accédé d’abord au sta­tut de jour­na­liste, ce qui relève du conte de fées à ses yeux, puis au rang de rédac­trice en chef, et de plu­sieurs maga­zines, Anne conserve sinon toutes ses illu­sions, du moins une forme de roman­tisme par­ti­cu­lière (qui rend le livre pro­pre­ment tou­chant). Elle reste amou­reuse de Daniel, et le per­çoit tou­jours comme un être presque sur­na­tu­rel, ce qui fait que le métier per­met­tant de le voir quo­ti­dien­ne­ment demeure pour elle une sorte de royaume enchanté. Cette optique est ren­due par le texte avec effi­ca­cité, si bien que le contraste entre les pré­oc­cu­pa­tions très pro­saïques des per­son­nages (s’attirer le plus pos­sible d’annonceurs ; rache­ter des médias concur­rents ; trou­ver les bonnes for­mules pour faire aug­men­ter tel tirage) et la part sen­ti­men­tale du récit ne pro­duit que rare­ment des effets d’humour involontaire.

Hélas, la forme de roman­tisme propre à Anne est vouée à lui atti­rer des mal­heurs, dont le pire (annoncé dès le début du livre) est son ren­voi du Groupe, au bout de vingt ans de règne près du som­met. Le lec­teur trouve — à la dif­fé­rence de la nar­ra­trice — ce mal­heur objec­ti­ve­ment inévi­table, ne serait-ce que du fait que les années 1990 sont arri­vées. Mais l’on n’en est pas moins rem­pli de com­pas­sion pour la femme qui croyait aux contes au point d’assimiler un patron de presse à quelque chose comme le père Noël, même après l’avoir côtoyé pen­dant deux décen­nies. A en croire des pro­pos récem­ment publiés dans Paris-Match, l’intéressé ne s’était jamais rendu compte des sen­ti­ments qu’Annick Geille éprou­vait pour lui ; on le plaint d’être passé à côté d’un tel tré­sor de can­deur et de dévouement.

agathe de lastyns

 

   
 

Annick Geille, Pour lui, Fayard, octobre 2011, 488 p.- 24,00 €

 
     

 

 

 

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