À la façon d’un Serge Brussolo, mais sans le climat angoissant, l’auteur imagine une succession de situations baroques et inventives. Il trace des parcours circonscrits dans un univers où tout est cadré, où rien n’est plus laissé au hasard, de la naissance à la mort. Les programmes décident de tout et les individus n’ont pas d’autres possibilités que suivre ces diktats. Cela commence par les sternes arctiques qui migrent à Paris, puis les mouches à miel qui envahissent Chicago, les papillons monarques qui prennent la direction du pôle nord… Ces erreurs sont mises au débit d’une atmosphère tellement saturée d’ondes, de messages, de champs magnétiques…
Dans un hangar désaffecté de l’aéroport de Reykjavík, un groupe de spécialistes s’enferme pour découvrir le secret régissant le sens d’orientation des animaux migrateurs. L’entreprise est baptisé LoveStar et c’est le nom sous lequel se présente son directeur. Personne ne peut savoir où en sont leurs recherches. Et puis un jour, le département d’Étude des oiseaux et des papillons a transformé le monde en découvrant le moyen de transmettre sons, images et signaux grâce aux ondes des oiseaux. Il ouvre l’ère de l’homme sans fil, mais constamment connecté.
Quarante ans plus tard, LoveStar a conquis la planète. Les hommes deviennent des porteurs de messages, des publicitaires ambulants. Des produits nouveaux révolutionnent les sociétés. LoveMort permet envoyer les défunts se transformer en étoile filante. Avec le “rembobinage”, il est possible de refaire l’éducation ratée d’un jeune enfant. ReGret est une intelligence artificielle qui guide les décisions en explorant les conséquences de chaque option et amène à l’unique choix adéquat. InLove calcule les profils des individus pour trouver, sur la planète, leur âme-sœur, la seule et unique personne avec qui ils doivent vivre.
Indriði Haraldsson, un aboyeur de publicités, est amoureux fou de Sigriður. Et c’est réciproque. Aussi quand inLove décide qu’elle doit vivre avec Per Møller, un Danois, le couple se révolte.
Au moment où commence l’histoire, LoveStar est assis dans un avion. Dans sa main il tient une graine et il ne lui reste que trois heures cinquante à vivre…
Le récit joue sur plusieurs registres en décrivant la nouvelle organisation de la civilisation, en suivant l’itinéraire du directeur de LoveStar et le parcours d’un couple amené en entrer en dissidence. L’auteur aborde de nombreux thèmes très actuels tels que l’écologie, la liberté individuelle, les relations humaines et amoureuses, la déshumanisation des personnes par l’entreprise ou par un système dictatorial, l’assujettissement de la nature aux caprices humains… Il dénonce avec humour l’omniprésence des calculateurs, des matériels qui décident de notre vie. Qui n’a pas été confronté à un blocage provenant d’un ordinateur dont le logiciel n’est pas programmé pour traiter la situation en cause ? Chaque thème est abordé avec pertinence dans un décalage singulier, soulevant des questions fondamentales sur l’avenir de la planète et de ses habitants.
Avec LoveStar, le romancier signe un hymne à la liberté, une charge subtile contre les monopoles, contre les dictatures tant sociétales qu’économiques. Andri Snӕr Magnason introduit beaucoup d’humour dans les situations qu’il décrit d’un style enlevé et d’une écriture fluide, agréable à lire.
Il est frappant de constater que ce roman a été publié en Islande en 2002 avant l’explosion des réseaux sociaux, avant l’acharnement de toutes structures pour la dématérialisation des contenus qui fondent leur identité.
Le Grand Prix de l’Imaginaire qui lui a été attribué en 2016 n’est pas dévoyé, au contraire.
serge perraud
Andri Snӕr Magnason, LoveStar (LOVESTAR), traduit de l’islandais par Éric Boury, J’Ai Lu, n° 11 810, avril 2017, 384 p. – 8,00 €.