Le rêve de la profération entre brisures, volutes et contre le silence
L’homme se définit essentiellement par le vecteur temps. C’est dire qu’il reste essentiellement « fini ». Pour s’en « tirer », l’écriture demeure le rempart unique et largement illusoire car « de brindilles ». C’est un songe qui à défaut de soigner permet au désir de durer au sein d’une illusion de phonie. Le langage se donne pour monde à travers les ondes qu’il émet en sa valeur de chant, de symphonie construite. Et ce, lorsque qu’il atteint certains bords et brisure où l’inconscient trouve le ressort de se transformer en sons. Toute fable est donc voix et musique : « Favola in musica, sous-titre de l’Orfeo de Monteverdi » rappelle Pfister.
En émerge un Centaure particulier : mi-corps, mi-parole qui tente de chanter pour effacer le temps. Les mots sont donc un théâtre comme Novarina l’avait déjà énoncé. Un théâtre d’ombres et de vivants, de tristesse et de gaieté. Il convient de faire avec : car jamais les mots n’ont force de monde, d’objets tangibles. Ils font ce qu’ils peuvent pour animer du vivant, rameuter une puissance qui n’est que d’écho.
Pour Pfister , il existe un lieu idéal à leur éclosion et exclamation. Là encore l’auteur rejoint Novarina. Les deux parient sur le théâtre. Rideau levé, tout paraît possible. Mais par contumace. La grotte du monde devient glotte et qu’importe l’artifice. Dans la mesure où le parleur comme le spectateur en a conscience, une « prise » peut avoir lieu face à l’irrémédiable, face au moindre que — disait Beckett — les mots rendent « inannulables ».
Les mots jouent alors notre histoire plus qu’ils se jouent d’elle. Dans leur propension compensatoire existe une révélation qui est acceptée pour ce qu’elle est. Le temps, le songe, le chant sont donc les ingrédients majeurs qui permettent au discours comme au temps de se poursuivre.
Un discours à « entendre » entre abîme et provisoire insurrection. Un discours qui échappe au logos dans une connexion indirecte au monde mais dont l’arrivée nous sauve. Pendant un temps. Si bien que l’être ne peut que donner tous ses royaumes pour demeurer le Centaure de Pfister. Sa voix résonne contre le chaos par l’incarnation d’un songe qui, au lieu d’être creux, s’élève dans le rêve de la profération entre brisures, volutes et contre le silence.
jean-paul gavard-perret
Gérard Pfister, Ce que dit le Centaure – Favola in musica, Editions Arfuyen, 2017, 198 p.