Denis Pouppeville & Gilbert Lascault, Les fumeuses fatales

La mai­son des poupées

Qui sinon Denis Poup­pe­ville afin d’« éclai­rer » les deux amou­reuses d’un même homme (qui leur rend bien) ? Ce der­nier et les deux fées (car appa­rem­ment, il s’agit bien de telles essences), du haut de leur 18 prin­temps, s’abandonnent : « ils se cares­saient ; ils se câli­naient ; ils se léchaient ; ils se pati­naient ; ils gémis­saient ; ils criaient ; ils pro­non­çaient des phrases las­cives et suaves ; ils entraient en joute ; ils fretin-frétillaient ; ils entraient en lice : ils jouis­saient ; ils rayon­naient. Par­fois, ils dor­maient ; puis ils se réveillaient ; ils man­geaient du caviar, des truffes, des darioles, des mokas, des made­leines ».
Tout semble par­fait et prous­tien en ce meilleur des mondes. Et Gil­bert Las­cault se fait plai­sir en trans­for­mant les des­sins sati­riques de Poup­pe­ville qui l’ont ins­piré en conte dégingandé.

Certes, les deux femmes de la légende arthu­rienne sont volup­tueuses : mais tout autant cruelles. Elles prennent sous le trait de l’artiste un aspect autant post­mo­derne décalé qu’expressionniste. Armées de ciga­rettes, de cou­teaux, de baguettes, elles réin­ventent — sous celles des deux créa­teurs — leur nou­velle mytho­lo­gie au milieu de frag­ments de corps nus. La figu­ra­tion nar­ra­tive devient celle l’amour de la chair et de celles et celui qui la portent, l’habillent, l’abandonnent au regard, la titillent.
Tout se passe comme si l’homme — n’étant pas facile et ne cou­chant pas le pre­mier soir — avait été invité direc­te­ment pour le second… Dès lors, une poé­sie salace et salée, per­verse et mali­cieuse avance : les corps, entre-aperçus, deviennent des pay­sages inso­lites et inso­lents. Les déjeu­ners sur l’herbe (ou ailleurs) pos­sèdent un par­fum de scan­dale. Et les zébrures des des­sins fixent au cœur de l’aventure, font sau­ter de plain-pied dans un vécu à la puis­sance de fable émancipée.

Les par­ties fines que joue le trio et à tra­vers les tex­tures du crayon res­semblent à un théâtre libre de ce qui ver­rouille d’interdits le monde et ses morales. Enfer et para­dis sont réunis en un espace d’échange et de fric­tion. Ecce — mais pour un temps — l’incompatibilité de deux mondes pro­vi­soi­re­ment réunis. Sous la farce éro­tique la cri­tique sociale n’est pas loin.
Tout est « dit » par l’architecture même des des­sins et leur radi­cale dif­fé­rence avec un simple effet naturaliste.

jean-paul gavard-perret

Gil­bert Las­cault & Denis Poup­pe­ville, Les fumeuses fatales, Edi­tions Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2016, 56 p.

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